Bret Easton Ellis

LES ÉCLATS

par Thierry Girandon

Bret

Quel crève-cœur d’avouer que je n’ai pas du tout aimé le dernier roman de Bret Easton Ellis alors qu’il est un des rares écrivains contemporains dont j’achète les livres dès leur parution. Mon impatience de le lire se nourrissait de tout ce que j’entendais à son propos. L’univers de Bret restait le même, que patinait la maturité : sexe, drogues and new pop music ; Los Angeles comme enclave falsifiée du monde ; les voitures décapotables et le cri des coyotes. L’espace et le temps inchangés, l’action se déroulant alors que Bret écrivait Moins que Zéro, son premier roman. Un portrait de l’artiste en jeune homme ? En jeune chien ? Bret dit qu’il avait déjà l’idée de ce roman mais non la maturité pour l’écrire. Il avait encore un pied dans le monde de l’innocence et s’apprêtait à basculer dans celui de la corruption : le cœur trop tendre et le cul entre deux chaises.

Finalement, ce copieux roman m’apparaît comme une somme. Nous nous retrouvons dans la cuisine de Bret avec tous les ingrédients dont, fidèles lecteurs, sommes familiers. Ce nouveau brouet n’est qu’un pot-pourri de tous les livres qu’il a précédemment écrits. C’est une resucée hyperbolique de Moins que Zéro. Le Trawler, le tueur en série, le véritable artiste du roman, pourrait être le Patrick Bateman d’American Psycho ou s’être échappé d’un polar de James Ellroy ou plutôt du film de Lars Von Trier, The House That Jack Built. Il est la mauvaise conscience de Bret, un fantasme. Le climat paranoïaque et schizophrénique nous le trouvions dans Glamorama, l’auto-fiction dans Lunar Park. Les mêmes questions se posent à la lecture des Éclats qu’à la lecture des livres précédents de Bret. Ce tueur qui rôde n’est-il pas une simple métaphore du travail d’écriture ? Mes interrogations sont inutiles puisque, dans son livre, Bret nous donne les clés de ce qu’il écrit. Il se présente comme un écrivain en herbe et, comme tel, rêveur, affabulateur. Mais à l’époque de Moins que Zéro, écrivain tout neuf tiraillé par son admiration antinomique pour Stephen King et Joan Didion, Bret ne surplombait pas ce qu’il écrivait. Il écrivait au présent, vivait cette torpeur qu’il excellait à nous décrire. Et je voulais écrire comme ça : la torpeur comme sentiment, la torpeur comme motivation, la torpeur comme raison d’exister, la torpeur comme extase. En écrivain behavioriste, il réussissait froidement à décrire cette dégradation, accélérée à l’époque des yuppies, de l’être en avoir et le glissement généralisée de l’avoir au paraître. Aujourd’hui, Bret moralise, juge, commente ce qu’il écrit au fur et à mesure qu’il l’écrit. Sa prose a perdu en sobriété et en rapidité, dévitalisée. On dirait que Bret a oublié cette citation de Shakespeare qu’il mettait en exergue de Lunar Park : Des tablettes de ma mémoire j’effacerai tout ce qui y fut inscrit de futile et de tendre, tout adage livresque, toute forme, toute impression passée que ma déférente jeunesse y a copiés…

C’est une manière de roman d’apprentissage beaucoup trop gras, aux chapitres qui se suivent et se ressemblent. La mise en abîme est courte. Auparavant, nous observions ses personnages évoluer comme mis à distance à travers la vitre d’un aquarium. Il est d’ailleurs question d’un aquarium dans Les Éclats, mais vidé de son eau et de ses poissons. La vacuité de ces lycéens nous apparaît dorénavant d’une manière beaucoup trop éclatante. Leur seule valeur, c’est Bret qui insiste, restant leur ÉCLATante beauté. Mais ce moment de la vie qui a vieilli ne se laisse pas rajeunir avec des couleurs éclatantes. Il se laisse seulement évoquer dans le souvenir. Dans les décennies qui le sépare de ce qu’il décrit, se niche les eaux vaines des nostalgies. Bret, maintenant heureux, épanoui, d’intranquille est devenu sentimental et Tout homme dont le nom a été inscrit sur le livre de l’affection, est libéré de l’enfer.

L’AUTOMNE QUE JE POSSÈDE VRAIMENT, C’EST CELUI QUE J’AI PERDU

Fernando Pesoa
Bret

Thierry Girandon est nouvelliste et romancier > lire plus sur T. Girandon


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