Patrick Béguinel & Philippe Sarr

PATRICK BÉGUINEL ET PHILIPPE SARR SONT LES NOUVEAUX PATRONS DES ÉDITIONS SANS CRISPATION.

Béguinel Sarr
Philippe Sarr – Patrick Béguinel

CONVERSATION AVEC DAVID LAURENÇON, FONDATEUR DE LA MAISON, PO/AMUSE-BEC.COM

David Laurençon : Vous avez pris les rênes des éditions sans crispation au mois de mai. Votre premier titre vient de paraître : « Nouvelles – sans crispation » ; « Sans crispation » tout court ; « Sans crispation : nouvelles ». Enfin, quel est le titre du livre, au juste ?
Philippe Sarr : Ah, voilà une vraie bonne question. Salut David.
dL : Oui, bonjour Philippe. Hello, Patrick.
Patrick Béguinel : Salut David.
Philippe Sarr : Heureux de te retrouver dans ces conditions particulières. Qui aurait imaginé il y a quoi, cinq, six ans, que nous en arriverions là à converser – j’adore ce mot – autour de Sans Crispation, toi en tant que fondateur de cette superbe maison, moi en tant que … Comment doit-on dire ? « Repreneur » ? Hum… Non, pas très joli tout ça, ça fait trop, enfin tu vois… Héritier ? Bof, ça ne colle pas vraiment non plus… Peu importe, le fait est que je me retrouve, avec Patrick à mes côtés, à la tête de Sans crispation éditions. Je ne m’y attendais pas du tout. Cela ne faisait pas partie, dirais-je, de mes « plans », de mes projets, même si l’idée me trottait dans la tête par moments… Juste une idée, rien de plus, comme je peux en avoir par dizaine en une seule journée… Je suis un homme à idées. Un homidè… Ta question donc : le titre ? Oui. C’est « Sans crispation ».
Patrick Béguinel : Il parle bien Philippe, non ? Moi, j’aurais dit que le titre est simplement : « Nouvelles », comme pour le format littéraire. Et aussi, comme pour le fait de donner de nos nouvelles. Eh oui, depuis septembre 2020 et la sortie en coédition avec Litzic de la triade Girandon/Sarr/Cauda, il ne s’était rien passé. Il fallait dire que nous étions toujours là, sous une forme différente, mais avec le même esprit, farouche, de proposer une littérature dynamique.
Philippe Sarr : Oui, je parle bien, ça va ! Mais tu as raison de le rappeler, Patrick. C’est vrai que nous avions cela en tête, nous rappeler au bon souvenir de ceux qui nous suivaient déjà depuis un petit bout de temps. D’autant qu’aujourd’hui tout va si vite que prendre le risque de rester ne serait-ce qu’une heure sans donner de nouvelles, c’est se faire passer pour mort. Crispant. Quoiqu’il en soit, désolé les gars, le titre est bien Sans Crispation, du nom même de la maison ! C’est en tout cas ainsi qu’il est enregistré.
dL : Pourquoi avoir choisi de commencer cette nouvelle carrière, par un recueil collectif ? Pourquoi ne pas s’être concentré sur un auteur unique ? Un romancier ou un nouvelliste, suivant ce que j’appellerais la logique éditoriale historique des éditions sans crispation. Nouvelle dynamique, comme dit Patrick ?
Philippe Sarr : Il s’est agi d’un vrai choix, d’un choix mûrement réfléchi. Un auteur, une autrice, oui, on aurait pu, c’est vrai. Mais ça ne collait pas avec notre projet, notre envie d’ouvrir, d’élargir, de diversifier, sans le travestir, l’horizon éditorial de cette bonne vieille maison.
Patrick Béguinel : Cette lumineuse idée a été proposée par Philippe. Rendons à César ce qui appartient à César. Personnellement, je n’ai pas mis longtemps à valider ce projet. Il faisait sens à mon goût.
Philippe Sarr : Un recueil « collectif », ça nous est vite apparu évident. C’était par là qu’il fallait commencer. Un recueil qui réunirait une petite myriade d’auteurs, d’autrices talentueux, et venant d’horizons très différents, de manière à esquisser d’emblée les contours de ce que devrait être à l’avenir notre petit univers à nous tout en conservant les bases de ce qui existait déjà, en substance. Une façon de préparer le terrain, donc. D’élargir notre palette sans qu’il y ait rupture avec ce qu’il convient d’appeler l’esprit sans crispation, si tant est qu’il y en ait un bien sûr… David, je te vois hausser le sourcil.
dL : Non, je ne hausse pas le sourcil. Je suppose que oui, il y a un « esprit sans crispation »
Philippe Sarr : Pour moi, oui, il y en a un, c’est clair.

L’ESPRIT SANS CRISPATION

Patrick : Aucun doute là-dessus, un esprit pervers et malsain, mais un esprit tout de même.
dL : Heu… Pervers et malsain ? L’esprit sans crispation, pervers et malsain ? tu rigoles?
Patrick Béguinel : Bien sûr. C’est trait d’humour, quoi qu’en lisant certains écrits de Jacques Cauda, des lecteurs non avertis – ou n’ayant pas la lumière allumée à tous les étages – pourraient effectivement être amenés à le croire. Non, cet esprit est celui qui combine amour des belles-lettres avec ce soupçon de coolitude jazz et un esprit de rébellion rock, le tout avec modestie et, toujours, le bon goût. C’est clair, non ?
Philippe Sarr : Mais peut-être ne l’est-ce pas pour tout le monde. À la limite tant mieux, il n’est pas plus mal que les choses restent dans le flou, ça force à garder les yeux bien ouverts, ça incite aussi à une certaine vigilance, nécessaire selon moi dans ce métier d’éditeur… Enfin bref. Où en étais-je ?
dL : Je ne sais pas.

« Cet esprit est celui qui combine amour des Belles-lettres avec ce soupçon de coolitude jazz et un esprit de rébellion rock, le tout avec modestie et, toujours, le bon goût. C’est clair, non ? »

Patrick Béguinel


Philippe Sarr : Oui, donc des auteurs venant d’horizons très différents, et surtout, pardonne-moi David, je ne voudrais pas te gâcher cette conversation courtoise, des autrices !
dL : Ah ah ! Des « autrices ». Tu sais que je trouve cette volonté enragée de féminiser le mot auteur – « Autrice », doux Jésus – assez proche de l’hystérie. Mais c’est comme ça. Ce qui me déglingue vraiment, dans ce que tu dis, c’est ce « surtout ». « Et surtout des autrices ». Pourquoi surtout ?
Philippe Sarr : Surtout ? C’est toi qui soulignes.
dL : Non, c’est toi.
Philippe Sarr : Enfin bon, oui, peut-être… Peut-être que le terme peut choquer et dérouter. En bref, voilà comment les choses se sont présentées :  Comment, je me suis posé la question ainsi, comment une maison aussi cool que Sans crispation pouvait se réduire à un repaire de mecs, essentiellement ? Des mecs sympas, soit, très ouverts d’esprit… Ça ne collait pas du tout avec l’esprit de la maison. Simple concours de circonstances peut-être. Je ne dis rien d’autre. Donc, Patrick et moi nous sommes dit : allez, on va remédier à ça. Quitte à provoquer quelque trouble dans l’entourage. Je plaisante, bien sûr.
dL : Je sais bien que tu plaisantes, pas de problème. Et peu importe si même des amis m’ont soupçonné de sexisme. Ce sexisme supposé vient de ce que j’ai pu raconter à l’heure de l’apéro, pas de mes choix éditoriaux. Jamais. Pas ma faute si les meilleurs écrivains que j’ai croisés se trouvent être des gars. D’accord, d’accord… Et pourquoi ne pas créer la « Journée Internationale de la Femme qui Écrit », tant qu’on y est. C’est fou, quand même, cette obsession des genres. Quand on reçoit un manuscrit, est-ce qu’il faut vraiment aller voir dans le slip de l’auteur, voir si l’on y découvre une fente ou une zézette ? Non. Bon. De toute façon, je suppose que vous continuerez à employer « autrice », ok, il faudra que je m’y fasse.
Philippe Sarr : Ah ah ! Ou les deux. Une fente et une zézette. Encore qu’il ne faille pas confondre « sexe » et « genre ». Mais bon, cette histoire de journée internationale de la femme qui écrit : très drôle. La preuve que l’on peut aborder ce genre ou plutôt ce type de sujet sans prise de tête. Eh eh ! Pour résumer, c’était aussi une manière d’affirmer ce que serait la « nouvelle » ligne éditoriale (le concept ne me plait pas vraiment mais je n’en vois pas d’autre pour l’heure) de Sans Crispation : à savoir, en rien quelque chose de fermé ou de figé, mais au contraire de bien ancré dans ce qui constitue la matrice de notre « réel » et de toute la complexité qui le caractérise.
Patrick Béguinel : Aujourd’hui, certaines femmes vont plus loin que les hommes dans une certaine représentation de la littérature. Je pense à des personnes comme Virginie Despentes par exemple, ou Laure Anders dont j’adore la plume, ou encore d’une autrice américaine comme Lidia Yuknavitch. Nous ne choisirons jamais des autrices proposant des romans sentimentaux à l’eau de rose.
dL : J’aime bien les romans à l’eau de de rose. D’ailleurs, j’en ai écrit un. Ça s’appelle Duncan s’occupe. Je n’ai rien contre les romans à l’eau de rose, bien au contraire. Mais je t’ai coupé, Patrick. Les femmes, donc ?
Patrick Béguinel : Je ne peux pas ne pas rebondir sur Duncan, roman à l’eau de rose 12 ans d’âge me semble-t-il, et fortement malté ? Grand bouquin, si, si. Mais les femmes donc… Oui, il faudra qu’elles engagent le corps, l’esprit, cette petite étincelle qui fait qu’un roman bascule de l’anecdotique au puissant, au fort, au troublant, au dérangeant, mais surtout à l’exigeant, à cet écrit qui fait s’entrechoquer les méninges et cætera.
dL : Mouais…
Patrick Béguinel : J’aime ce « mouais » dubitatif. À nous de te prouver, ainsi qu’à tous les dubitatifs de la planète, que les femmes sont capables elles aussi du meilleur littérairement parlant ! Mais à ce propos, je crois que la plume de Nathalie Straseele a déjà commencé à te convaincre, je me trompe ?
dL : Pas du tout. J’ai adoré sa nouvelle Histoire de papier.
Patrick Béguinel : Pour en revenir à nos moutons, au but de ce recueil collectif : nous permettre de mettre à l’honneur des auteurs et autrices pour qui nous avons un coup de cœur à un moment ou un autre de notre existence. L’autre raison, plus pragmatique et raisonnable, est que cela nous permet de reconstituer une trésorerie. Les différentes plumes présentes nous ont offert leur talent gracieusement, ce qui fait que tous les bénéfices rentrent directement dans la bourse Sans Crispation. Chaque centime sera utilisé pour publier le premier roman de cette nouvelle ère et lancer d’autres collections. De plus, on s’appuie, et je dis ça pour être totalement transparent, sur le réseau des participants au recueil. Ça nous permet, plus ou moins modestement d’accroître notre propre communauté.
Philippe Sarr : Ah, oui. Gracieusement, c’est vrai. Bon, chaque auteur ou autrice se verra quand même offrir un exemplaire. Ce qui me semble être le minimum.
Patrick Béguinel : Oui, c’est important, même si une fois encore relativement anecdotique. Néanmoins, nous ne sommes pas fourbes, il se peut que ces auteurs se voient récompensés ultérieurement. On en reparlera le moment venu.
Philippe Sarr : « Récompensés », je n’aime pas trop ce terme. Mais, oui, parions que nous serons amenés à travailler sur du moyen ou long terme avec certaines et certains. D’ailleurs… Non, rien pour le moment.
dL : C’est amusant. J’ai toujours pensé qu’un recueil collectif, ça n’avait pas de sens. Et voilà que j’ai lu le bouquin, et je me rends compte de la pertinence de ce travail. Collectif, justement. La pertinence, et bien plus que ça encore.
Patrick Béguinel : La pertinence vient peut-être du fait que le thème était imposé, quoiqu’assez large dans ses thématiques possibles, puisqu’il fallait écrire sous la contrainte du thème « Sans Crispation ».
Philippe Sarr : Bien sûr, pertinent, tu as totalement raison. Rassembler des auteurs et autrices autour d’une seule et même cause a été quelque chose de très excitant et stimulant, littérairement et humainement parlant. En tout cas, moi, ça m’a véritablement botté. Excitant, stimulant dans la mesure où ça a permis de confronter des styles, des démarches et des écritures différents. De mettre en perspective des univers qui ne se complétaient pas à priori. Réunir un Cauda, une Straseele, et un David Le Golvan, dans un même recueil, il fallait oser quand même !
dL : C’est vrai. Fallait oser.
Patrick Béguinel : Choisir qui mettre, et où le mettre à l’intérieur du recueil, assurer une certaine continuité, créer un dynamisme, comme une bonne playlist, sans que l’on perde en rythme, en mordant.
Philippe Sarr : On l’a fait et nous en sommes heureux et fiers. Après, chacun nous donnera son point de vue. Je précise que jusqu’au dernier moment, aucun des auteurs retenus n’avait une connaissance précise de ce qu’ils trouveraient dans le recueil.

SANS CRISPATION, LE LIVRE

dL : Douze auteurs, dont les écrivains déjà publiés par sans crispation : Cauda, Girandon, Masud. Philippe, tu y places un texte, et vous m’avez fait l’honneur de publier ma nouvelle « Poisson rouge ». D’où viennent les sept nouveaux auteurs ?

Béguinel Sarr

Sans crispation,
Nouvelles.
EAN13 : 9791095024057
166 pages – 16 €
> commander sur le site de l’éditeur


Philippe Sarr : Nos sept mercenaires (en somme) ne nous étaient pas totalement inconnus. Mais avant de répondre plus longuement à ta question : dès que l’idée d’un recueil collectif se soit définitivement imposée, on s’est dit, sans une once d’hésitation : voilà, pas d’appel à texte, comme cela se pratique souvent (ce que je respecte, d’ailleurs). Nous nous sommes mis en quête, stylo en main, pour ce qui me concerne, ou plutôt nous nous sommes directement tournés vers des auteurs dont on avait pu apprécier le travail antérieurement. Soit par « ouï dire », soit à travers les chroniques, souvent très justes dans leur appréciation, dont certains avait fait l’objet chez notre vénérable partenaire Litzic, ce qui nous a beaucoup aidés. C’est donc allé assez vite. Il n’y a pas eu de tours de tables, de vote à bulletin secret. Aucune faveur particulière n’a été demandée aux auteurs. Juste qu’ils, elles nous écrivent un chouette texte, et peu importait la forme (selon la « forme qui leur convenait et selon leur tempérament », pour citer Maupassant), le tout « sans crispation » pour ne pas déroger à ce qui constitue le principe fondateur de la maison. Toutes, tous ont joué le jeu. Ce qui nous a ravi. D’autant qu’il a fallu œuvrer dans des délais assez brefs. Heureusement, on savait exactement ce que l’on voulait, avec quels auteurs, autrices on souhaitait travailler, pour apporter un peu de sang neuf. Toutes, tous avaient déjà publié, au moins dans des revues. Deux d’entre eux avaient déjà acquis une assez longue expérience éditoriale.
Patrick Béguinel : Des gens croisés au hasard de mon expérience avec Litzic. Je pense par exemple à mon ami Philippe Azar.
Philippe Sarr : Oui, Philippe Azar a été l’un des tous premiers à émerger : tellement évident !
Patrick Béguinel : J’avais découvert son roman Les mélodies de la chasse d’eau il y a plusieurs années. En naquit une fidèle amitié, du genre de celle qui te font te dire un jour que tu vas créer un site qui mettra un auteur en avant pendant un an. Il a été le premier à figurer sous cette rubrique « L’auteur du mois », dans Litzic. C’est également lui qui m’a fait me dire qu’il fallait absolument mettre en lumière des auteurs et autrices trop peu médiatisés. Il en est de même pour Marie-Philippe Joncheray, Guy Torrens, Nathalie Straseele. D’autres ne figurent pas dans le recueil mais feront, à un moment ou un autre, partie de « l’écurie » Sans Crispation.
Philippe Sarr : Ola ! Qui en feront partie à condition de convaincre le comité de lecture de Sans Crispation ! Lequel sera absolument intransigeant sur la forme et le fond.
Patrick Béguinel : Ça va de soi. Je voulais ajouter que parmi ces auteurs que nous avons pioché parmi nos connaissances, il y a Cartographie Messyl, qui figurait dans nos amis Facebook : une façon comme une autre, aujourd’hui, de montrer ses écrits et attirer l’oeil d’un éditeur. Enfin, David Le Golvan. Il m’avait fortement touché lors de nos échanges et m’avait fait me dire « et pourquoi pas devenir éditeur, un jour ? » Et là, boum ! Le Destin (du D majuscule de David Laurençon) m’a ouvert cette porte inespérée qui me permet aujourd’hui de le faire.
Philippe Sarr : ça va David ? David comme les trois Parques… Quelle immense responsabilité, ah ah !
dL : Oui, ça va. Je n’ai pas tout suivi, cette histoire de parcs et de dé majuscule, mais oui ça va.
Patrick Béguinel : Mes mots ne sont pas clairs ? D comme Destin, Destin comme celui qui t’a placé, David, sur ma route. Parce que, figure-toi mon ami, que sans toi, je n’aurais jamais connu Thierry Girandon(1) dont je suis un des plus grands fans. Je n’aurais pas plus connu Monsieur Sarr, dont je suis également un des plus grands fans. Et attends, je te le dis comme ça, entre parenthèses, mais pas impossible qu’un autre roman de mon cher collègue voit le jour bientôt, en 2022…. Chut…  Pour en revenir à nos sept mercenaires, il n’y a que Stéphane Blanchet, un coup de cœur de Philippe, que je ne connaissais pas, mais dont les textes proposés ont fait tilt, dont ce superbe Cafard totalement dans l’esprit Sans Crispation.
dL : Autre texte que j’ai beaucoup, beaucoup aimé, ce Cafard de Blanchet.
Philippe Sarr : Bon, tu vois, nous sommes vite tombés d’accord pour ce qui était du choix des auteurs. Ensuite, mais c’est tout à fait personnel, pour ce qui allait constituer le premier ouvrage Sans Crispation de l’ère post Covid (j’anticipais un peu), peut-être n’était-ce pas une si mauvaise idée que ça de regrouper dans un seul et même recueil ce que notre littérature du moment faisait de mieux. Tu trouves peut-être que j’en fais de trop ?
dL : Non, pas du tout. « L’ère post-covid », ça donne bizarrement, mais je t’écoute.
Philippe Sarr : … Histoire d’en conserver une noble et scintillante trace avant l’effondrement annoncé. Une décision, comme tu peux t’en rendre compte, très pragmatique au final… Une histoire de conservation.
dL : Conversation, tu veux dire.
Philippe Sarr : Non, conservation. Pas évident de trouver la bonne cible, mais on a fini par dégager une liste de douze auteurs et autrices qui correspondaient vraiment à ce que l’on voulait.
dL : Mes amis, vous avez fait un énorme travail, parfaitement réussi.
Patrick Béguinel : Quand tu as les bons ingrédients, ce n’est pas difficile de faire une bonne tambouille. Sans ces talents, rien n’aurait si bien fonctionné.
dL : Le livre a paru il y a quelques semaines seulement. Quels retours avez-vous eu ? Retours des auteurs, retours d’une manière générale ?
Patrick Béguinel : Il est encore un peu tôt. Nous nous sommes un peu loupés sur le lancement du recueil, en lançant des précommandes trop tôt, ce qui a créé un délai un peu frustrant (erreur liée à l’inexpérience, mais on apprend vite). Néanmoins, certains auteurs nous ont envoyé des petits mots sympas, comme quoi ils étaient heureux de figurer en bonne compagnie. À priori, l’accueil est plutôt chaleureux, enthousiaste. Personne ne s’est plaint, pour l’heure. Peut-être certains ont-ils peur de ne pas pouvoir exprimer leur dégoût d’être mal entouré ? Je ne sais pas. Quoi qu’il en soit, pour progresser, nous sommes preneurs du bon et du moins bon.
Philippe Sarr : Des auteurs, autrices qui se plaindraient ? Non. Des librairies ou lecteurs peut-être qui ont dû patienter un peu avant de voir leurs commandes honorées. Mais remettons les choses à leur vraie place : sans nous donner d’excuses, on a dû faire face à quelques imprévus, niveau transporteur notamment, vacances obligent. Malgré cela, je trouve que l’on s’est plutôt bien démerdés. Patrick a fait un travail énorme – mise en page, couverture, relecture de Bon-à-Tirer et que sais-je encore, tout en bossant pour Litzic, tandis que j’avançais de mon côté sur les lectures de manuscrits, que nous commençons à recevoir en assez grand nombre.
dL : Il y a eu ces articles parus dans Ouest-France et dans Le Télégramme. Ces articles, c’est comme s’ils officialisaient le changement de direction des éditions sans crispation – au-delà des paperasseries administratives : la maison s’installe en Bretagne, avec de nouveaux patrons. Sauf que. Patrick, toi tu vis en effet en Bretagne mais Philippe travaille dans la région parisienne. Géographiquement, si je puis dire, où s’ancre la maison ? Si d’aventure cela a un sens.
Patrick Béguinel : À l’heure où tout est dématérialisé, la notion de géographie n’a plus vraiment lieu d’être. En TGV, je ne suis, depuis Saint-Brieuc, qu’à 2h30 de Paris. Si nous organisons un lancement, peu importe le lieu, ce sera à un jet de pierre.
Philippe Sarr : On a eu en effet ces deux retours de presse : Ouest-France et Le Télégramme. Deux journaux disposant d’une bonne audience. Des retours concernant davantage Sans Crispation, sa nouvelle implantation, théorique comme tu le disais puisque dans les faits elle se partage entre Saint Brieuc et Pontoise, ainsi que son nouveau mode de fonctionnement. Ce genre de retour nous a fait bien sûr plaisir. L’idéal serait que ces deux organes de presse nous suivent et parlent maintenant de nos publications, sachant qu’un roman, Brutalisme, de David Le Golvan, excellent roman ; qu’un recueil de poésie, un texte très puissant, et qu’une novella, superbe, elle aussi, sont prévus dans les prochains mois. C’est bien sûr là qu’on les attend… J’espère que nous aurons également quelques retours de presse ici, en Île de France… Contact a été pris.
Pour en revenir à cette belle formule de Patrick, à savoir que St-Brieuc ne se trouvait qu’à un jet de pierre, un clic pourrait-on presque dire, de Pontoise : ce qui précisément me botte avec Sans Crispation, maintenant que cette maison vraiment pas comme les autres possède donc deux pieds en Bretagne et deux autres en Île de France, c’est l’impression, assez étrange, que ça me donne parfois d’avoir cocréé une sorte de lieu magique et surnaturel à partir de deux régions distantes de plusieurs centaines de kilomètres et tellement différentes d’un point de vue géographique, géologique aussi je suppose, voire culturellement.  Je ne pense même pas à ce qu’il peut y avoir entre ces deux régions. Un gouffre, comme si seules ces deux régions existaient désormais. Comme si notre espace-temps s’était d’un coup contracté pour faire émerger une sorte de lieu imaginaire et magique où le temps, celui des livres, de la fiction, du rêve, de la poésie, des utopies, on manque d’utopie de nos jours je trouve, s’écoulerait de manière différente. Où l’on pourrait ainsi croiser des poulpes géants, des régénérateurs de mémoire, des poissons philosophes… Un entre-deux qui ouvrirait toutes sortes de portes. Et me ramène à un texte auquel travaille actuellement Nathalie Straseele… une histoire de Pont à restaurer. À guérir. Un pont construit à l’aide de mots. Vital, pour nos sociétés moribondes. Patrick Béguinel : On sent le fan de K. Dick s’exprimer. On avait dit pas de religion chez Sans crispation, et là, on voit ton culte pour cet auteur !
Philippe Sarr : Ah bon, on avait dit ça, pas cde religion ? Me souviens plus. Non, juste un fantasme d’éditeur, un éditeur qui ne fantasme pas est un éditeur mort, selon moi, un clin d’œil aux auteurs de SF, aussi, s’il y en a qui nous lisent. Et puis oui, tu connais toute l’affection, particulière, que je porte à K. Dick. Encore vivant, contrairement à ce que l’on croit. J’aurais tellement aimé être son éditeur !
dL : Dites-moi, dans ce travail d’éditeur, quelle est la chose qui vous botte le plus et, dans la foulée, quelle est la chose que vous craignez le plus ? En quelques mots si possible, et s’il vous plaît.

VISIONS ET DÉCOUVERTES

Béguinel Sarr

« Un éditeur qui ne fantasme pas est un éditeur mort »

Philippe Sarr

Patrick Béguinel : La découverte est un moteur, c’est indéniable. Découvrir de nouvelles plumes s’avère stimulant, surprenant, déroutant parfois. L’inventivité des auteurs est sans limite, ça me porte personnellement, et je crois que toi aussi Philippe, non ? Ce que je crains : les coquilles ! Tu as beau relire les manuscrits un milliard de fois… C’est un calvaire pour moi, un calvaire qui ne trouve de réconfort que dans la perspicacité de Philippe à les débusquer. À part ça, j’aime beaucoup travailler sur les couvertures, faire des propositions, mettre l’œil à contribution
Philippe Sarr : Oui, tout comme toi, Patrick : découvrir dans sa boîte mail des manuscrits d’auteurs et autrices parfois inconnus est un stimulant énorme ! Chaque fois, c’est le même trouble, la même excitation qui prévalent à l’idée d’entrer dans des univers différents. D’un coup, c’est comme si ton espace s’agrandissait, s’enrichissait. Avec ce questionnement tout de même, qui affleure en permanence, puisque c’est aussi et surtout le but de la manœuvre : ton enthousiasme initial va-t-il demeurer au point d’en faire un livre ?
dL : Eh, oui, un manuscrit et un livre, ça n’est pas du tout la même chose. Bon, il est bientôt onze heures, nous allons bientôt terminer. Quelque chose m’intéresse, avant que l’on se sépare, à propos de ce travail d’éditeur – faire d’un manuscrit un livre, et le diffuser – qui m’intéresse d’après le point de vue de votre travail de l’avant sans crispation, si je puis dire. Dites-moi. Patrick, tu es chroniqueur et rédac-chef de Litzic. Tu reçois des bouquins (des livres, pas des manuscrits), tu en fais des retours critiques. Parle-moi du « lien » possible entre ces deux boulots. Lien, plutôt que transition.
Philippe, tu me diras ce que tu en penses après. J’allais presque dire que ton cas est encore pire : tu es écrivain, tu as publié trois romans. Jusque-là tu étais de l’autre côté de la barrière. Idem, tu me parleras de ce lien, ou transition. De romancier, à éditeur.
Patrick Béguinel : Il arrive parfois que des auteurs qui me contactent pour Litzic soient aussi en recherche d’un éditeur. Le lien, qui ne pouvait pas forcément se faire avant – j’essayais d’indiquer à certains auteurs des maisons susceptibles de les prendre sous leur aile, je pense notamment à Isabelle Templer – ce lien pourra désormais, sous réserves évidemment, se faire. Par exemple, la nouvelle que nous publierons dans notre nouvelle collection est l’œuvre d’un auteur pour qui j’avais eu un réel coup de cœur lors de son « mois d’auteur ». Il se trouve qu’au terme de celui-ci, il m’a dit qu’il avait une nouvelle en stock qu’il venait d’achever, je l’ai lu et je me suis dit qu’il fallait absolument que Philippe la découvre aussi. Et bingo pour cet auteur puisque Philippe a également perçu un potentiel de fou. Quelques petites rectifications plus tard et le texte était prêt, dans les cartons.
Philippe Sarr : j’avais déjà parlé de ce lien entre Litzic et sans Crispation. Si l’on se réfère à l’histoire de l’édition, en France notamment, sans entrer dans le détail, on peut dire qu’il fut assez courant qu’une maison d’édition ait pour partenaire une revue ou un organe quelconque qui rendait compte de son travail et de celui de ses auteurs. Je trouve ça très bien. Mais attention, il est indispensable de garder à l’esprit qu’il s’agit de deux structures distinctes, chacune ayant sa propre vocation. Litzic n’est pas Sans Crispation.
Me concernant, oui, il y a le fait que je sois à la fois auteur et éditeur. Rien de nouveau en cela non plus. Ça a toujours existé, des éditeurs qui étaient aussi des écrivains ou l’inverse. On n’a rien inventé. D’ailleurs, David, tu avais aussi cette double casquette jusqu’à il n’y a pas si longtemps. Le truc consistant bien sûr à ne pas verser dans la facilité. À se dire que bon, j’occupe une fonction qui me confère certains pouvoirs, celui d’accepter ou non des manuscrits, et d’en abuser en prenant le risque de se publier soi-même envers et contre tout. Mais que l’on soit deux devrait nous préserver de ce risque.
dL : Ok. Il faut y aller. Je vous souhaite le meilleur, mes amis. Merci d’avoir pris ce temps pour discuter. Je sais qu’on pourrait bavarder encore toute la nuit, ce n’est que partie remise. Étant donnés les projets que vous avez, nous aurons évidemment l’occasion de faire un nouveau point.
Avant d’appuyer sur STOP, quelque chose qui vous paraît important de mettre dans la boîte, et que l’on n’a pas évoqué ? Je sais bien que nous sommes loin d’avoir fait le tour, mais comme dit : partie remise.
Philippe Sarr : Ben, un truc qui me vient à l’esprit, comme ça. Il a fallu que tu aies sacrément confiance en nous pour nous remettre les clés de la boîte ! Avec le recul, je me dis que cela n’a pas dû être évident, pour toi, de raccrocher.  Je voulais te remercier pour ça. Pas d’avoir raccroché, bien sûr, mais de… enfin, tu as compris ce que je voulais dire… Sur ce, euh, on fait en sorte d’organiser un truc dès que possible. Tiens, à Saint Brieuc. Pour changer un peu… Ok ! Bye bye.
dL : Salut Philippe. Merci pour tout.
Patrick Béguinel : Évidemment, toujours partant, histoire de vous faire découvrir la célèbre hospitalité bretonne. Comme Philippe, je tenais à te remercier de l’opportunité que tu nous as offerte. Parfois, je me dis qu’il existe un dieu quelconque qui place des gens sur notre route, et que ceux-ci nous permettent d’aller plus loin sur notre propre chemin personnel. Sans verser dans le mysticisme, je dirais simplement que ta proposition tombait au bon moment. Là où Litzic parfois peut m’étouffer, Sans Crispation édition m’offre une véritable bouffée d’air frais, un regain d’énergie pour aller, d’une certaine manière, plus au fond des choses. Moi qui étais assez flemmard, j’y trouve un excellent moteur pour me dépasser. Et puis, au-delà de cela, plus important encore que Sans crispation, c’est tout ce tissu humain, cette richesse des échanges qui font que l’aventure est belle, riche en amitiés diverses et qu’au moment où la tocante s’arrêtera je pourrais me dire « au moins ça de fait ! ». En attendant, on se donne rendez-vous très vite, quelque part, pour fêter ce recueil et la suite de nos folles aventures 
dL : Merci Patrick, merci encore à vous deux. Je vous souhaite le meilleur : un maximum de lecteurs, un maximum de rencontres, belles et flambant-neuves. Adiós, compañeros !


Pour contacter les éditions sans crispation : sanscrispation.editions@gmail.com
Site : http://sans crispation editions.fr
Lien webzine Litzic : https://litzic.fr


Les auteurs publiés dans le recueil sans crispation, dans l’ordre d’apparition :
David Le Golvan
Philippe Azar
Cartographie Messyl
Philippe Sarr
Stéphane Blanchet
Nathalie Straseele
Mehdi Masud
Guy Torrens
Jacques Cauda
Marie-Philippe Joncheray
Thierry Girandon
David Laurençon


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