CONVERSATION AVEC LE PEINTRE NEO-EXPRESSIONNISTE TJ OWENS.
L’artiste américain vit depuis plusieurs années dans le sud de la France
INTERVIEW RÉALISÉ PAR DAVID LAURENÇON
> version originale de l’interview / anglais (États-unis)
DAVID LAURENÇON : Hello TJ… « TJ », ce sont les initiales de quoi, au juste ?
TJ OWENS : Je m’appelle Thomas Joseph Owens.
dL : Je suis votre travail depuis longtemps, découvert par hasard sur Saatchi Art. Puis je vous ai contacté, il y a deux ou trois ans, pour l’illustration d’une affiche. Avant d’en venir au coeur du sujet – votre travail -, pouvez-vous me dire ce qui vous a amené à vivre ici, dans le sud ?
TJ Owens : Je suis venu vivre à Sauve pendant les années Bush. Je cherchais un endroit alternatif pour me sentir en sécurité.
dL : Vous sentir en sécurité? C’est-à-dire?
TJ Owens : Les années Bush commençaient à provoquer une grande anxiété dans ma psyché. J’avais peur de l’avenir des États-Unis tels que je les avais connus ! Le « conflit » du Vietnam se réimaginait, et provoquait beaucoup de craintes et de doutes pour l’avenir proche. Je voulais avoir une issue de secours. Bien sûr, je sais maintenant qu’il n’y en a pas.
dL : Pourquoi ici, précisément, dans ce petit village ?
TJ Owens : J’ai découvert Sauve en cherchant un endroit pour camper, j’étais allé voir une exposition de Paul Cézanne à Aix-en-Provence. Le village m’a paru sympathique, petit et à l’écart. Je n’ai jamais regretté mon choix.
UNE APPROCHE SIMPLE DE LA VIE
dL : Est-ce que vous gardez un pied – ou un oeil – sur votre Californie natale ?
TJ Owens : Oui. Je préfère avoir le choix entre plusieurs « portes ». Mais dans le monde d’aujourd’hui, il y en a de moins en moins. Je continuerai à trouver du réconfort dans mon art. Il semble que ce soit le seul choix réel que j’ai, et qui m’apporte une forme profonde de satisfaction et d’ancrage. L’eau, la nourriture et le logement seront toujours mes besoins primaires. Mais ensuite, je chercherai encore à faire de l’art ! Il s’agit peut-être d’un objectif et d’une approche de la vie plutôt simples, mais je sens que je peux les accomplir et en être satisfait.
dL : Une approche de la vie qui me semble idéale. C’est-à-dire, plus que satisfaisante ! Bien. Vos œuvres se vendent entre 700, 900 dollars et peuvent atteindre 1500. Comment vous situez-vous dans l’improbable jungle du marché de l’art ? »
TJ Owens : Le prix de mon travail aujourd’hui a été fixé comme ça, parce que je ne voulais vraiment pas vendre mon travail. Je me disais que je pouvais l’exposer, et le mettre hors de prix sur le marché. J’ai été assez surpris de constater qu’il s’est vendu et j’ai conclu la transaction. Mon opinion sur le marché de l’art contemporain est assez cynique, quant aux valeurs qui dominent, dans nos ventes aux enchères d’art contemporain et dans les grandes maisons d’art financières. Cependant, je ne suis pas sûr qu’elles aient jamais été du côté de l’artiste au cours de l’histoire. J’ai décidé il y a longtemps que je n’étais pas motivé par le fait de faire de l’art pour la satisfaction de quelqu’un d’autre. J’ai adhéré au processus, au système, sans y demeurer scotché. Je le fais pour mon propre plaisir et, bien sûr, c’est là qu’intervient une partie de la culpabilité de pouvoir vivre confortablement et de pratiquer mon art sans avoir besoin d’être payé pour cela. Je suis à la retraite et j’ai assez d’argent pour vivre heureux. Je n’ai pas beaucoup de goûts fantaisistes et coûteux et je vis assez simplement. Cela reste très satisfaisant. Je vivrai de cette manière jusqu’à ce que je ne sois plus capable de continuer !
dL : Voilà qui est clair. Parlons de votre style. C’est très intuitif et parfois on a l’impression que vous expérimentez, sans que vous sachiez vous-même ce que cela va donner.
TJ Owens : J’ai rarement une idée précise de ce que peuvent devenir les dessins, sauf si je fais un paysage ! En général, j’aime sentir qu’il s’agit d’une énorme expérience précipitée avec les matériaux que je rassemble ou que j’ai sous la main. J’aime, et je m’épanouis dans l’exploration spontanée qui s’ensuit.
dL : L’expression « techniques primitives » vous convient-elle ?
TJ Owens : Oui, certainement. Il s’agit d’un mélange, pas très raffiné en général. Primitif, oui. Mais aussi, des réactions basiques, primales, qui explosent en images. Ma première attirance sérieuse pour les artistes, ça a été les expressionnistes et les coloristes ! Ma progression dans l’art s’est poursuivie en parallèle. Je trouvais mes capacités à former des images très satisfaisantes, et presque un abri ou un refuge contre les vibrations négatives !
dL : Tous vos dessins et peinture, ou presque, sont figuratifs et néo-expressionnistes. Pourquoi représenter des hommes et des femmes aux formes, disons… plus que généreuses ? Les corps apparaissent comme amplifiés. Qu’est-ce que cela signifie ?
TJ Owens : Mes œuvres figuratives sont en effet plus généreuses que celles d’Egon Schiele. Je préfère que mon travail soit reconnaissable dans sa forme plutôt que non-objective dans sa présentation. J’ai l’impression que les œuvres d’Egon Schiele sont presque à l’opposé des miennes, même si elles présentent une psyché blessée similaire ! Les miennes sont en effet plus amplifiées et plus robustes. Mais elles suggèrent toujours une impulsion nerveuse d’inquiétude et de doutes !
dL : Il y a deux ou trois ans, je suis allé voir l’exposition Basquiat-Schiele à la Fondation Louis Vuitton. J’y suis allé pour Basquiat. C’était superbe, complètement fou. Une explosion d’énergie pure, une claque salutaire, le genre de chose qui remue et réveille. Gonflé à bloc par l’œuvre de Basquiat, je suis allé voir Schiele. Ce fut le trajet le plus rapide du monde : avec Basquiat, je venais de me plonger dans la force. Devant Schiele : c’était une impression pénible, désagréable, celle de dégringoler dans un hospice. Ou une maison de retraite. Le genre d’endroit qui vous donne le blues et vous donne envie de fuir. Une galerie de créatures valétudinaires.
TJ Owens : Je ne suis pas convaincu que l’idée de « Schiele contre Basquiat » soit une position à prendre. Il s’agit certainement d’une combinaison intéressante d’artistes. Je serais curieux de savoir quel était le raisonnement derrière cette exposition. Je n’ai jamais vu aucune de leurs œuvres en personne. Seulement en format catalogue. Et je ne sais pas beaucoup sur la vie personnelle de Schiele. Cependant, en ce qui concerne J.M. Basquiat. J’ai été attiré à la fois par la personne et son art car il était « américain » et contemporain. J’ai l’étrange sentiment tenace qu’il a été « piégé » par ses liens avec Warhol et ses groupies ? Je me base uniquement sur ce que j’imagine, car je n’ai fréquenté aucun d’entre eux, même si j’étais à New York à l’époque. Ce n’était pas un style de vie qui m’attirait. Le travail de Basquiat me semble très authentique et exaltant, comparé à celui que produisait Warhol. Je ne peux qu’imaginer leur association comme une conséquence de l’environnement de New York et de la scène artistique qui s’y développait. Je n’avais aucune envie de m’associer à « l’action ». C’était un milieu qui ne m’attirait pas. D’après mes souvenirs, cela ne s’est pas bien terminé, même si les œuvres de Warhol ont une grande valeur. Je ne crois pas que l’histoire confirmera son statut actuel. Un autre exemple de la valeur nette contemporaine de l’art qui est toujours en vie et qui rembourse financièrement certains clients ! Je n’ai vraiment pas envie d’adhérer à ce réseau, même si à certains égards, comme je l’ai mentionné, je l’ai fait !
UNE IMAGERIE ROBUSTE ET « ÉTOFFÉE »
dL : D’accord… Il n’empêche que ce rapport entre vous, et Schiele, qui exagère dangereusement dans la maigreur maladive, me tarabusque. Quelle est la connexion ?
TJ Owens : Bien que j’apprécie l’approche expressive des œuvres figuratives d’Egon Schiele, j’aime me laisser aller à une imagerie plus robuste et plus complète. Plus « étoffée », pourrait-on dire. Je mentionne Egon parce qu’il est tellement différent de moi dans son approche et son format ! Peut-être était-il plus réaliste dans son expérience et ses expressions ? Je ne sais pas ! Ses personnages décharnés pleurent d’angoisse et cherchent compassion et réconfort ? Les miens sont généralement mieux nourris, mais je dépeins quand même un certain niveau d’anxiété psychologique et de doute. Un niveau d’incertitude et de peur semble revenir souvent dans mes personnages. Rarement un sourire radieux sur le visage !
dL : En effet. Pas de sourires, mais une vie sûre et certaine. Je veux dire : pas une vie gargantuesque, ce n’est pas le mot, mais une vie qui déborde et mange tout l’espace. Une vie sans gêne, une impudeur brutale.
TJ Owens : Je suis frappé par vos associations ! Une vie qui déborde et mange l’espace… Une vie sans gêne… Une impudeur brutale ! Ma vie professionnelle, ma carrière m’ont peut-être exposé à une perspective plutôt crue de la vie, ainsi que mes expériences dans l’armée américaine en 1965/68. Ce qui a éveillé en moi un certain niveau de cynisme et de remise en question des autorités. C’est une chose difficile à cerner. Une grande partie de ce que je fais est de nature narrative et personnelle. Ceci étant dit, vous vous attendez à ce que je comprenne et explique plus clairement ma recherche de « nourriture » ? Je ne semble pas être capable de le faire avec des mots très clairs. C’est peut-être pour cela que je fais de l’art ? En fait, je crois au concept de l’inconscient humain collectif, inspiré des pensées de Jung. Je m’imagine parfois comme un simple conduit, qui n’a pas d’autre choix que d’émettre et de manifester une forme témoignant de nos expériences humaines collectives ! Oui, ça semble un peu fou…
dL : Vaste sujet, comme on dit. Moi, je me contente de discuter et d’échanger avec des artistes dont j’admire le travail. Cela permet de reconsidérer leurs impulsions. Avec des mots. Avec le Verbe, pour ainsi dire.
TJ Owens : Je suis très heureux que vous admiriez mon art ! C’est un sentiment très satisfaisant ! Et la compréhension de « l’impulsion artistique » est une perspective rare, je crois. C’est un peu un mystère, en fait, et je ne suis pas très bon pour expliquer précisément mes raisons, mon but. C’est un processus très émotif qui, j’en suis sûr, a ses racines quelque part dans mon subconscient déformé. Des émotions brutes de désir aiguisées par mon mélange d’interpellations tirées des expositions de la vie auxquelles nous devons tous faire face, sous une forme ou une autre ! Mon choix de la figure humaine comme sujet est le plus souvent ma façon de traiter et d’explorer les interactions de notre environnement les uns avec les autres !
dL : Demander à un artiste de parler de son travail, est-ce que c’est une torture ?
TJ Owens : Oui, c’est un peu douloureux d’essayer d’expliquer le but ou la fonction de mon art. Surtout lorsqu’il semble n’avoir aucune valeur intrinsèque au processus de la vie humaine, à son besoin de compassion et de confort pour tant d’autres personnes qui ont besoin d’une survie de base au quotidien. Je suis ici, à faire de l’art et à m’amuser. J’ai ce sentiment effrayant que je suis coupable d’un manque de réalités. Je vis une existence si chanceuse !
RÉALITÉ ET CULPABILITÉ
dL : « Coupable d’un manque de réalité » : J’adore cette formule ! Couplée à ce sentiment de bonheur, de « chance » ou de « chanceux » : elle me semble magique. Je trouve cette formule très riche de sens et de possibilités… Se sentir coupable d’un manque de réalités !
TJ Owens : Vous êtes un maître du mot écrit/parlé. Je ne suis pas aussi à l’aise à cet égard. Je me bats contre mes pensées de culpabilité et l’absence de réalités, contre l’idée que tant d’autres vivent une expérience moins heureuse. L’absence de la liberté de s’asseoir et de faire de l’art en toute sécurité. La culpabilité vient du fait que je sais que je suis libre du manque de ces besoins de base. Un abri. La plomberie intérieure. Réfrigération. L’absence de ces besoins n’a jamais fait partie de ma réalité. Je n’en ai pas conscience. Je trouve une forme similaire de culpabilité, dans l’idée de revenir intact de l’armée américaine alors que beaucoup n’en sont pas revenus ! C’est une forme très étrange de culpabilité, difficile à expliquer.
dL : Votre personnalité force le respect, TJ. Et l’intérêt de la conversation n’est pas une tentative de décryptage, mais une volonté de transmission. Merci beaucoup, très sincèrement, d’avoir accepté et pris le temps de répondre à mes quelques questions. A très bientôt !
TJ Owens : Je fais confiance à des gens comme vous pour donner plus de sens à tout cela grâce à vos capacités cognitives ! Et je continuerai à faire mon art jusqu’à ce que je n’en puisse plus !
Paris, le 19 août 2021
TJ OWENS
> TJ sur saatchiart.com
#L’atelier, 1, rue de la Planète, Sauve, France
Expos permanentes :
Tyler Island Studios -Walnut Grove, PO Box 582 California
Galerie Vidourle Prix – Sauve, France
Affiche pour les éditions sans crispation
Paris, 2019