(De la Hammer à G. Lucas)
Par Thierry Girandon
Dans les années trente, les monstres de la Universal terrorisèrent les spectateurs des salles obscures. Puis Dracula and Co finirent par jouer à se faire peur, dégénérèrent dans de ridicules séries Z aux côtés de comiques ringards. On fit se rencontrer Dracula et le Loup-garou comme on fera se rencontrer Alien et Predator.
Lon Chaney jr faisait mentir le proverbe « Tel père tel fils ». La Momie perdit jusqu’à ses bandelettes et révéla sa poitrine cave. Dans les drive-in on voulait du sang et des nibards. C’est ainsi que de jeunes pucelles déniaisées dans des Chevrolet perdirent leur sang sur la moleskine des banquettes. Il ne serait pas étonnant que cette dernière phrase servît de refrain à la chanson d’un rocker.
Dans les années cinquante, la Hammer, célèbre studio anglais, eut l’heureuse idée de ressusciter ces monstres. Le génie de la Hammer fut l’utilisation de la couleur. Le sang, rouge vif, giclait sur les tentures vertes ; ô, les lèvres carminées des victimes de Dracula ! Sa morsure, un baiser. Dans Psychose, le sang n’était que du chocolat fondu. Ce qui choqua, alors, ce ne fut que la cuvette des chiottes et l’obscène bruit de la chasse d’eau.
Terence Fisher, le plus grand réalisateur de la Hammer, ressuscita d’abord Frankenstein, puis les autres. Mais il s’attacha particulièrement au célèbre baron qui restait le même mais variait ses créatures un peu à la manière d’un couturier qui chaque saison présente une nouvelle collection. Dernièrement, j’ai vu le dernier film de Fisher : Frankenstein and the monster from hell, réalisé en 1974, sa cinquième déclinaison du baron et de son bébé. Le docteur, suavement joué par Peter Cushing, œuvre dans un asile d’aliénés. Sa dernière création, le monstre de l’enfer, est une créature qui inspire vraiment de la compassion. Il est là, le génie de Fisher. Il avait déjà rendu émouvant le Loup-garou. Il coule l’âme de sa créature dans le puissant corps d’un psychopathe qui vient de rater son suicide. Il lui coca-colle le cerveau d’un génie et les mains habiles d’un sculpteur. La créature ainsi rendue à la vie n’est qu’un monstre de souffrance qui vit un véritable enfer, tiraillé par le désespoir, des envies de meurtre, les affres de la création. Créature pitoyable mais pathétique, ou l’inverse. L’acteur qui prête son corps à cette créature sauvage recouverte d’une pilosité à la Chewbacca n’est pas un inconnu. Il s’agit de David Prowse. David Prowse est mort en 2020. C’est un ancien haltérophile, célébrissime pour être celui qui se cache sous le costume de Dark Vador. Georges Lucas voulait une silhouette massive et athlétique, seulement ça. Lucas devenait à son tour le célèbre docteur Frankenstein en créant ce père dégénéré qui dégénéra plusieurs générations de spectateurs. Ce Dark Vador, à la manière du monstre de Frankenstein, n’est qu’un personnage composite. Si David Prowse prête son corps, ce n’est pas sa voix dans les films. Quand il montre son visage, ce n’est pas son visage. Dark Vador n’est, comme la créature de Frankenstein, que bouts de ficelle. Pauvre David Prowse condamné à jouer éternellement un même monstre.