Quelle flamme !


UNE VISION DE LA FLAMME OLYMPIQUE
Par Thierry Girandon

flamme

On me dit et me répète que la flamme olympique passera sous mon balcon. Je réponds que j’ai compris et que je ne suis pas d’accord.
Le balcon surplombe une belle place arborée qui devrait porter le nom de l’assassin plutôt que celui de la victime, place Casério. Par peur d’un pareil luron, depuis quelques jours, la place, le quartier, les quartiers circonvoisins, mais toute la ville est comme en état de siège, quadrillée par des véhicules militaires que des jeunes désolés conduisent, comme s’ils feuilletaient une revue, d’une main. Depuis plusieurs jours, des panneaux d’interdiction s’élèvent ici ou là : des milliers de pilotis qui donnent l’envie de bâtir une nouvelle Sérénissime. Interdiction de, interdiction de, etc. Plus simple de préciser ce qu’il est permis de faire dans les rues de la ville, des villes. Depuis plusieurs jours, dans une éclosion de bleu et les stridences intimidantes de sirènes, une explosion de flics. Depuis plusieurs jours, la belle place arborée est bichonnée comme un hipster entretient sa barbe. Epouillée des pauvres gens, des braves gens, des amoureux qui paressaient à l’ombre des grands arbres. Plus de cannettes et de bouteilles vides, de frites molles, de mégots de joints, etc. Les pigeons n’ont plus rien à becqueter, mélancoliques parce qu’ils ne chient plus. Gare aux chiens qui crottent sur la pelouse nouvellement tondue. Un tel toilettage invite à pique-niquer. Pique-nique interdits !

– La flamme olympique passe sous ton balcon.
– J’ai compris, p’tain !
– Aujourd’hui !
– Pendant le match de foot ?
– Il y a toujours un match de foot, quelque part sur cette planète.
– Sur quelle planète habitons-nous ?
– La flamme olympique, mon belet !

Lâchement, je fuis. Mais au milieu du chemin de notre ville, je me retrouve par une forêt obscure car la voie droite est perdue. Une forêt de barrières antiémeutes entravant une forêt de badauds, mouvante comme dans Macbeth, désordonnée et caquetante. En fait, je remonte bêtement le tracé de la flamme : une ligne verte posée sur le sol par de matineux municipaux. La suivrais-je, arriverais-je au mont Olympe ?
Le passage de la flamme est donc imminent. J’en sens la chaleur. Elle sort des mille naseaux m’environnant. C’est alors qu’il se met à pleuvoir. Une pluie mauvaise copine, narquoise. Des parapluies s’ouvrent, certains, oui, aux couleurs nationales du drapiau. Les forces de l’ordre sont surreprésentées, à moins qu’elles ne soient là que pour empêcher la flamme de piétiner nos libertés. Sur les toits, les lunettes de visée des snipers grossissent de foutues poitrines. Je m’installe à une table à l’abri et commande un modeste et mérité picon-bière. Des familles s’impatientant, le portable dégainé, prêt à mitrailler, prennent le risque de se faire rafaler pour une photo floue. Tous les portables se lèvent comme au passage d’un Duce. Ce n’est qu’une procession de policiers. Le Président Nord-Coréen et Chinois se marrent. L’identique caravane publicitaire du Tour de France précède la flamme. Il y a donc des risques de se faire estourbir par un paquet de coquillettes, n’importe quel échantillon bombardé d’un véhicule. Une banque passe puis un soda étasunien. Des hurluberlus en justaucorps, directement sortis d’un film de Georges Méliès, font la roue ou de vaines pirouettes. Un sportif en fauteuil roulant échappe le ballon qu’on lui envoie. Un militant quelconque tente de glisser un tract ou deux, une promotion sur une pizza ou une coupe de cheveux. Un enfant, le bras coincé entre deux barreaux, hurle à la mort. Un chien goguenard lui renifle le derrière. Des mascottes sont balancées comme des corps sur un charnier. Des drones cartographient les nombreux tatouages. La police termine le cortège qui finit dans un stade, le stade, où a lieu une dernière messe, bouquet final de molles éjaculations pyrotechniques sur la gueule du public.
La répétition en miniature de ce que seront les Jeux est terminée.
La flamme olympique ? Le gyrophare de trop.

th /juin 2024

Thierry Girandon, présentation de « Perpète », recueil de nouvelles, librairie Le Merle Moqueur, Paris 20e

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