PAUL AUSTER

CRÉPUSCULAIRE BAUMGARTNER

Baumgartner

par David Laurençon

Sans doute, ma lecture de Baumgartner a été perturbée par le fait que je savais que c’est le dernier livre de Paul Auster que je lirai jamais. Paul Auster est mort le 30 avril 2024. Je termine la lecture de ce roman le 13 novembre 2024, commencée le 10 novembre. C’est un court roman, un dernier roman, et j’ai pris mon temps.
Crépusculaire Baumgartner ! Crépuscule, « lumière incertaine qui subsiste après le coucher du Soleil et faiblit peu à peu pour faire face à la nuit ». Non, ça ne va pas. Ce n’est pas exactement ça. Crépusculaire : mis à toutes les sauces, non ça ne va pas.

Vieux, attendrissant, affectueux Sy Baumgartner. 70 ans, universitaire, veuf perdu dans ses casseroles et sa cuisine – toute sa tête quand il s’agit de son travail (un bouquin sur Kierkegaard, philosophe déjà-vu chez Auster mais je ne me rappelle pas où) ; tout son cœur et sa tête dans la mémoire et le souvenir. Ses origines (des grands-parents à nos jours) , et Anna Blume, sa femme.
(Anna Blume, déjà-vue chez Paul Auster. Le Voyage d’Anna Blume, roman, 1987. Actes Sud. Traduction de Patrick Ferragut).
La femme de Sy Baumgartner est morte il y a dix ans, par noyade. Elle est morte, néanmoins vivante parce que convoquée et invoquée inlassablement. C’est un livre qui raconte leur amour des origines à nos jours (encore). Si l’on y prend garde, tout ce qui n’est pas amour ne serait que poussière. Aussi vrai que flippant. Ou : vrai, donc flippant. Ou : tout ceci n’est que littérature.
La littérature, justement ; plus précisément : l’étude de la littérature, car débarque dans la vie de Baumgartner une certaine Beatrix Coen. Elle arrive d’abord par mail ou par téléphone ; bientôt, Bebe Coen sera à la maison et si Bebe existe, c’est qu’Anna Blume était une poétesse quasi-adulée. Bebe, étudiante brillante dit-on, travaille sur la poétesse et aura accès à tout ce qu’elle a écrit, non publié : correspondances, ébauches et brouillons et cætera.

Ainsi, Sy, aussi nostalgique et mélancolique qu’indécrottable et lumineux espéreur, transforme et chamboule physiquement et spirituellement sa maison (regardez le bureau d’Anna Blume), à fin d’accueillir Bebe le plus dignement du monde. Parce qu’elle est la suite d’Anna, et ce deuil qu’il ne fera jamais. La continuité et la jeunesse. Elle est tout, sauf la mort.
Mademoiselle Coen est jeune et insouciante. Elle prendra la route, le temps est mauvais, pour parcourir des milliers de kilomètres et rejoindre la maison de S. Baumgartner. Les routes sont dangereuses. « La vie est dangereuse ».
Il y a la phobie du car-crash ; une attente bien trop pénible pour Sy Baumgartner – imaginer qu’elle meurt dans un accident ; il ne peut pas attendre sur place et se ronger les sangs, comme ça. Pour se dégourdir, peut-être se changer les idées, il prend sa voiture et va faire un tour.

Car-crash de Sy Baumgartner au volant de sa [quelle marque de voiture ?] ; accident sans gravité. Sy erre dans le désert puis il voit de la lumière. C’est une maison et il y a de la lumière. Il frappe à la porte et la dernière phrase du dernier roman de Paul Auster m’a enfoncé – frustration exquise, comme il y a des douleurs exquises – dans une rêverie cool. Il y a 1 film de David Lynch que je visionne mille fois parce que je veux absolument comprendre ce qu’il s’est passé. Chaque fois, je me rapproche. Chaque fois, je m’éloigne. J’adore l’art du « on-ne-saura-jamais ». On ne saura jamais et je vais relire cet extraordinaire 4321, ce pavé culte. Entre d’autres raisons, pour me remettre en mémoire que des écrivains de cette trempe etc. Leur génie me tue.

dL

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