AMUSE-BEC & LIBRAIRIES

AMUSE-BEC : le seul livre dont je suis l’éditeur, qui a marché exclusivement grâce à des libraires

par david laurençon

Si je prends le temps d’écrire cet article, c’est que le phénomène est supérieurement étonnant (et je ne parle que de l’édition dite indépendante, à laquelle j’aurais aimé redonné son sens initial, comme à tout ce qui se dit indépendant d’ailleurs – pas de diffuseur, pas de distributeur, pas de banque, pas d’ami, hors-circuit) : un livre qui marche grâce à des libraires. Incroyable, oui. Zéro réseau social, pas ou peu de commentateurs (presse, blogs, critiques…), pas de site vitrine – encore moins de site marchand. Juste un livre, et des libraires.
Oh, Seigneur, pendant ma carrière d’éditeur indépendant – certes quantitativement courte – l’italique vaut surlignage, un machin que j’ai appris, c’est bien que les librairies sont le dernier endroit où aller, pour vendre un livre.
Mais avec Amuse-bec, ah ! Tour de force & heureuses rencontres.
Un immense merci aux trois libraires sous-nommées.

LIBRAIRIE DALBY

Je commence par la dernière librairie en date accueillant Amuse-bec : la Librairie Dalby. Le livre y est disponible depuis quelques jours seulement.
7 ans après sa parution.
Il s’agit-là de l’effet Perpète.
Perpète est le 7ème livre publié de Thierry Girandon (Je ne suis pas un grand fétichiste du chiffre 7, mais tout de même). Perpète, donc, avait trouvé sa place dans les rayonnages de cette étonnante librairie/bouquinerie/disquaire/et-bien-d’autres-choses-encore – Le genre d’endroit que j’adorerais posséder et tenir. C’est un autre sujet.
De fil en aiguille, de mails en mails et après quelques échanges téléphoniques avec la patronne, Marie-Emilie Dalby, avenante, curieuse, enthousiaste ( l’enthousiasme de l’autre fait un bien fou, quand on s’est farci le ton morbide de mille libraires qui n’en peuvent plus d’on ne sait pas quoi, pendant des années) – Mlle Dalby donc, est à l’écoute : et voilà Amuse-bec au 17, rue Clovis Hugues, à Saint-Etienne.
« Tout ce qui se trouve ici a été choisi et sélectionné », dit-elle. Ce n’est pas sur parole qu’on la croit, c’est d’expérience. Et quand Thierry Girandon nous assurait, bien avant Perpète, n’ayant pas d’intérêt dans l’affaire (les mots seuls, « intérêt » ou « intéressement », laissent d’ailleurs T. Girandon perplexe, je crois), quand donc il me disait qu’il adorait cette « petite boutique très sympa », eh bien… Eh bien rien de plus. Je souhaite, de tout coeur, le meilleur à venir à cette jeune librairie, qui a ouvert ses portes il y a à peine plus d’un an !

Libraires

Amuse-bec, de Thierry Girandon, dans les rayons de la librairie Dalby
> Librairie Dalby


LUNE & L’AUTRE

Autre histoire, charmante elle aussi. Qui se passe également à Saint-Etienne (pourquoi encore Saint-Etienne, je n’en ai pas la moindre idée. Enfin si. Mais peu importe). Cette histoire commence de la façon la plus simple du monde : il se trouve que l’écrivain Thierry Girandon est aussi et peut-être et avant tout un immense et gigantesque lecteur.
Il se trouve que T. Girandon ne commande jamais ses livres, mais qu’il hante les librairies et qu’il fouille.
Il se trouve enfin que T. Girandon et Antoine, de Lune & L’Autre, ont sympathisé. D’accord, être copain avec un libraire, ça peut aider. Mais c’est loin de suffire. Il faut ce je-ne-sais-quoi de plus – un mix de volonté, de curiosité (encore) et d’énergie – parce que jamais un libraire ne s’embarassera de quoi que ce soit « pour faire plaisir ». Sans Lune & L’autre, pas d’Amuse-bec*
Sans compter que quelques années plus tard, la librairie Lune et L’autre allait faire le plus grand bien à Perpète. Perpète, best-seller de la trilogie 2020 des éditions sans crispation.

Libraires

Librairie Lune & L’autre
19, rue Pierre Bérard
Saint-Etienne
> Site de la librairie Lune & l’autre


*Non. En réalité, sans Camille Delettre et La Cour des Grands, pas d’Amuse-bec :

LA COUR DES GRANDS

Amuse-bec a paru en 2014. Thierry Girandon avait déjà publié un roman, Les Faux Cils et le marteau (chez Huguet éditeur) ; les éditions sans crispation s’appellaient encore Crispation (tout-court) ; et à part deux ou trois bricoles plus expérimentales que franchement éditoriales, moi, je n’avais encore rien fait.
J’allais faire, et vite. Car le manuscrit que m’a donné à lire Thierry Girandon était tout simplement génial. Le style impeccable, des histoires pas toujours gaies et qui pourtant donnent le sourire à chaque page. De la magie pure. Un trésor littéraire.
Sans rire, et sans exagérer.
Le livre a été imprimé avec le plus grand soin, l’objet-livre devant être à la hauteur du Génie qu’il contenait. Une coquille m’aurait tué net. Un défaut sur le graphisme de la couverture, et j’aurais sorti mon Taurus 9mm.
Bien. Seulement voilà, je suis encore le seul au monde à savoir ce que j’ai entre les mains. Les semaines passent. Une poignée d’exemplaires a été vendue aux amis et aux amis de la famille. Puis il y a un creux, un grand, grand creux.
Un vide, pour mieux dire. Ou un quasi-désespoir, pour dire mieux encore.
Personne ne me connait, personne ne connait Thierry Girandon. Personne n’a envie de lire. Personne semble assez riche pour pouvoir se payer un livre au format poche.
J’obtiens un « interview » dans un magazine, L’Incontournable Magazine. Ce ne sont pas eux, les gars de ce magazine, qui sont venus me chercher, évidemment. Je les avais appelés pour leur demander combien coûtait une page de pub dans leur beau magazine sur papier glacé, sans intention de payer quoi que ce soit : une manière comme une autre de leur faire coucou. Je ne sais pas. En tout cas, plutôt que de me faire un devis pour le faire de la réclame, ils m’ont proposé un interview.
Dans cet interview, je n’avais rien d’autre à faire, que de défendre Amuse-bec. Fastoche (et, moins fastoche & moins cool, répondre à la question qui dézingue à force d’être toujours posée : « pourquoi « crispation »? » – « Parce que bla-bla-bla » – du coup, et d’accord j’ai été long à la détente, j’ai rebaptisé la structure « sans crispation » à la sortie des Chairs utopiques, du romancier Philippe Sarr ; lequel écrivain qui d’ailleurs, à l’heure où je vous parle, co-dirige avec mon copain Patrick Béguinel ladite maison : Editions sans crispation, et j’en reviens à mes moutons :
L’interview dans L’Incontournable Magazine a paru. Chouette. Pourtant, je continuais de marcher dans les rues tranquillement : pas un quidam pour se retourner, et toujours pas la moindre commande d’Amuse-bec. Rien. L’interview dans un magazine gratuit, tiré à6000 exemplaires pas plus : un coup d’épée dans l’eau, une triste franche rigolade.

Libraires

Amuse-bec
format 12×20 cm
132 pages
EAN13 : 9782953038361

Puis, un beau matin, des semaines et des semaines après la sortie du livre, je reçois un coup de fil de Camille Delettre, alors libraire à La Cour des Grands, à Metz (Camille Delettre est aujourd’hui le responsable-librairie du Centre Pompidou de Metz). Il me commande un exemplaire. Ce n’est pas pour un client, c’est pour lui. Je ne suis encore qu’un débutant et je ne sais pas si je dois lui offrir, ou lui faire une ristourne, je ne sais rien, alors je lui avoue tout.
Comme c’est pour lui, perso, boom-boom : il achète un exemplaire plein pot. Il a lu l’interview de L’Incontournable, m’a trouvé « sacrément passionné ». Quelques jours plus tard, il me rappelle et me commande vingt-exemplaires.
Il a adoré le livre. Il me demande d’où vient ce Thierry Girandon, s’étonne – c’en est presque insultant – de la beauté de l’objet, du prix modique de l’objet, de notre total anonymat. Camille Delettre met moins de trois jours pour écouler son stock. Car il en parle à ses clients, et les clients succombent. Et c’est ainsi que, de paquets de 20 en colis de 30, il torpille mon propre stock. J’ai procèdé à un joyeux et obligé retirage d’Amuse-bec.

David Laurençon


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