GONÇALO M. TAVARES

APPRENDRE À PRIER À L’ÈRE DE LA TECHNIQUE

Sous-titre : Position dans le monde de Lenz Buchman,
Roman de Gonçalo M. Tavares (Ed’ : Viviane Hamy)

Lenz Buchman est élevé par son père, frederich, qu’il adule. Éducation sans préchi-précha, selon la loi du plus fort. Comment l’on chasse, comment l’on tue, comment l’on se dépucèle avec la bonne de la maison : c’est un ordre !
Adulte, Lenz devient un chirurgien respecté et renommé. Il répare les gens malades, et il le fait bien. Sans trembler, sans la moindre émotion. Il méprise la faiblesse et le pathos en général. La maladie n’est qu’une répugnante anarchie cellulaire, qu’il faut restaurer.
Son frère meurt (de maladie) : de toute façon c’était un lâche, un faible. Lenz Buchman est désormais l’unique Buchman sur terre. Le fier héritier de l’impitoyable Frederich Buchman.

Tavares

Mais un nom propre, un nom de famille, qui se transmet à la génération suivante, n’était pas seulement un hommage à ce qui n’existe plus ou à ce qui, en principe, cessera d’exister le premier, c’était également la manifestation publique du fait que le travail était inachevé : à chaque génération, le nom de famille cherchait la meilleure position sur le champ de bataille. Position qui serait transmise en héritage – mais qui n’était jamais définitive. Le combat, quel qu’il fût, retardait toujours la dernière décision, et la fin technique de cette énergie historique serait simplement signalée par l’extinction d’un nom de famille


Il passe alors des troubles de l’organisme humain, à ceux de l’organisation sociale ; de la technique médicale, à l’opération de la Cité – des citoyens. En d’autres termes, il abandonne la médecine et se lance dans la politique, avec succès et selon le même credo : pas de quartier pour les minables. Car il faut que les choses fonctionnent.

À la fin, il meurt,

et ça devient intéressant. Il tombe malade, c’est la déchéance. Physique d’abord, puis mentale. L’intelligente et intouchable brute qu’est Lenz Buchman échoue lamentablement dans ses projets et dans sa grande affaire : être fort jusqu’au bout. Mourir dans un accident, à la guerre ou par suicide. Mais pas défait par la maladie ou, pour mieux dire, dominé par elle ! Lenz Buchmann n’a rien vu venir. Il est trop tard, quand lui vient enfin à l’esprit de se tirer une balle dans la tête : il est tellement affaibli que sa main ne peut soutenir le poids de l’arme.

C’est un livre extrêmement curieux. Des chapitres courts (2 ou 3 pages), titrés sous forme de commentaires (« Se réveiller au milieu de machines et dire sa reconnaissance / La main n’a plus le même poids »), commentaires descriptifs ou ironiques qui semblent avoir été écrits par un autre narrateur que le romancier, et qui égaient la lecture – dans la mesure du possible.
L’écriture est précise, sans ornement, froide et logique. Dans Apprendre à prier à l’ère de la technique, tout est mécanique, technique, impeccablement maîtrisé. Gonçalo M. Tavares, écrivain portuguais né en 1970, professeur d’épistémiologie à l’Université de Lisbonne, n’est pas là pour rigoler, encore moins pour nous divertir. Il ne donne pas, non plus, de leçon. Il propose un roman qui d’abord désoriente par sa construction ; puis l’on pense à cette ère de la technique, la nôtre et, le cas échéant, l’on peut partir dans de plus ou moins longues réflexions – politiques, poétiques, religieuses, morales etc. Pour ma part j’ai rêvassé, essayant d’établir un lien entre le titre et l’oeuvre. Je ne suis pas allé plus loin, reposant le livre en me disant seulement (et c’est déjà pas mal) : oui, « quel curieux bouquin… Il faudra que je relise du Tavares ».

David Laurençon

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