CONVERSATION AVEC LA PHOTOGRAPHE ET ILLUSTRATRICE FRANCO-IRLANDAISE OLIVIA HB
DAVID LAURENÇON : Je suis tombé presque par hasard sur votre travail impressionnant de photographe. Vous faites d’autres choses : illustrations, linogravures… Bien. Avant de commencer cette conversation, dites-moi votre nom. Toutes vos oeuvres sont signées HB. « HB », ce n’est pas un nom, ça ne veut rien dire. « HB », ça me rappelle l’école. Les fournitures scolaires. “Veuillez vous procurer un crayon HB .. Comment vous appelez-vous ? J’ai besoin de connaître le nom des artistes avec qui je cause.
Olivia HB : Et encore, David, cette abréviation aurait pu désigner un symbole chimique !
dL : Ouille.
Olivia HB : Le hasard, si tant est qu’il existe, vous a vu débarquer avec sourire sur ma petite route. « HB » sont les initiales de mes deux noms, Irlando-Française, il s’agit du nom de mon père Hewson auquel s’ajoute celui de ma mère Bonneau. Mais comme vous le précisez, ces initiales font souvent résonner ce rapport au crayon, un comble pour une personne qui ne sait pas dessiner.
IRLANDE DU NORD, EXIL & ERRANCE
dL: Vous ne savez pas dessiner ? Mais si, bien sûr que vous savez. Nous y reviendrons. Nous allons en arriver très vite à votre travail. Permettez-moi, avant, de mettre deux ou trois choses en situation. Vous êtes née à Belfast, vous êtes Franco-Irlandaise. Vous vivez actuellement quelque part vers Caen. Qu’est-ce que vous faites à Caen ? À part manger des tripes et boire du Calva ?
Olivia HB : Ah, la nourriture de nos ancêtres Vikings ! Fiers gaillards qui ont poussé dru avec ce savant mélange !
Plus sérieusement, née pendant les troubles en Irlande du Nord et ayant perdu mon père à cause de ceux-ci, l’exil a été forcé et par sécurité, ma mère a ramené sa petite famille, là où elle pouvait recréer, repartir, voir grandir sereinement ses enfants, dans sa région natale. Les années font pousser les racines et finalement on se construit là où on se sent en sécurité ! Tout en repartant régulièrement retrouver son « autre » pays », là où les souvenirs manquent, mais pour en provoquer d’autres.
dL : Je comprends. Arrêtez-moi si je vous parais indélicat, évoquant ce passé, mais il y a là-dedans quelque chose qui m’intéresse particulièrement et de toute façon, cet intérêt a un rapport avec l’esprit de vos photos. Du noir et blanc, un rendu et une technique très… Vous me préciserez cela.
Vous avez perdu votre père lors de ce que l’on appelle les troubles en Irlande du Nord. “Trouble”, le terme est un euphémisme franchement choquant, soit dit en passant ; votre mère est rentrée en France avec sa “petite famille”. Bon. Vous parlez de racines, de construction, de souvenirs. Ma question porte à présent sur vous. Où vous situez-vous, là-dedans? En tant que femme. Qu’individu. En tant qu’artiste.
Olivia HB : Effectivement, pour revenir sur le mot « troubles », il s’agit de l’appellation purement britannique de ce que tout Irlandais nommerait « guerre civile ». Les années Thatcher dans lesquelles j’ai grandi mais aussi fui à l’âge de deux ans, n’ont fait qu’amplifier cette séparation politique et religieuse entre une même nation que devait être l’Irlande. J’ai très longtemps vécu dans une grande colère qui était tournée à la fois contre une Histoire qui me privait de mon histoire et qui avait distillée un manque et une mélancolie dans une petite fille qui n’avait rien demandé, si ce n’est d’exister et d’être un peu comme les autres petites filles qu’elle fréquentait à l’école, dans un schéma parental typique. Cette colère s’est apaisée au fur et à mesure de ma connaissance de mes racines, de ce peuple merveilleux et hospitalier et des voyages récurrents effectués en Irlande mais effectivement, ce qui est le plus enraciné et encore très très fragile, malgré mes 40 ans passés, c’est le manque du père. Il y a forcément cette empreinte dans mon travail.
dL : Oui. C’est-à-dire : quand on regarde vos photos, on ne se dit pas : “Tiens, il manque un père, un père qui a disparu pendant la guerre civile”. En revanche, on observe, presque toujours, un inénarrable glissement vers un vide qui se comble derechef, de lui-même, par lui-même. L’impression que donne vos photos donne le vertige. Pas facile, d’écrire des frissons.
Olivia HB : Ces petits êtres seuls, à part, sans forcément savoir où ils vont, ni vers qui se tourner… un sfumato comme un manque qui ne se dissiperait pas, cette profonde solitude, malgré tout, persistante, même en compagnie, cette errance parce qu’une part de la construction de soi n’a pas été possible.
dL : Votre construction…
Olivia HB : Elle est toujours là, la petite fille paumée mais lucide ! Pour reprendre la formule Lacanienne, « le non dupe erre » .
FENÊTRE VS MIROIR
dL : Ah, Lacan… J’aime mieux vous citer, vous. J’ai quand même pris des notes avant de vous rencontrer. Voici :
“Très tôt, j’ai su que je n’étais pas un miroir mais que j’étais une fenêtre ; ça veut dire que j’allais regarder le monde, que je me retrouverais dans des endroits auxquels je n’appartenais pas et que j’allais essayer de rapporter avec moi quelques fragments de ces vies” D’accord. Ça veut dire quoi, au juste ?
Olivia HB : Ok, c’est une formule assez poétisée de ma démarche artistique ; en fait je reprenais le terme « miroir », comme objet qui est présent et nécessaire à l’appareil photographique. Le miroir nous renvoie une réalité, sans la déformer. Si vous prenez une photographie dans la rue, certes, une vitre est entre vous et le monde, mais vous aurez en réponse la vision instantanée de ce que vous aurez regardé. Il s’agit donc de photo-miroir, de ce que votre œil a réellement vu, comme vous vous observez objectivement (ou non) dans votre miroir. L’ayant expérimenté quelques temps dans la rue, je recherchais autre chose. L’instant, le miroir, la réalité telle qu’elle existe, palpable et vivante, ne me convenait plus.
dL : Pourquoi ?
Olivia HB : La simple vision d’une réalité apoétisée, ne plus réussir à trouver dans « le banal, le commun, le quotidien » un élément qui m’interpellait me manquait. Il fallait être « fenêtre », en cela il s’agissait de créer une sur-réalité en croisant des instants, en imaginant des compositions, différentes expositions qui façonneraient, non plus un instant, mais avant tout une émotion. À partir de ce moment là, c’est l’ouverture vers un travail plus cathartique où on se livre vraiment, où on a envie d’aller vers l’intériorité. L’objectivité de la photo de rue instantanée est remplacée par la subjectivité d’une émotion dévoilée. Et tant mieux, si les gens qui regardent ce genre de photographies, attrapent un bout d’eux même, qui sinon serait passer par cette fenêtre, comme un cerf-volant.
dL : À propos de la technique, de la pure technique. J’avais entendu parler de mille types d’appareils photos, mais jamais de Lomographie. J’épluche votre travail, et je découvre: “lomographie”. Ce n’est pas banal, comme système, que cette “limographie”… Comment l’avez-vous découvert?
Olivia HB : David, vous venez d’inventer un super concept et vous ne le savez même pas, avec ce mot « limographie ».
dL : Pardon ?
Olivia HB : Vous n’auriez pas en tête un mélange entre gravure et photo ? Je vous taquine, mais ce lapsus est très poétique !
LE LOMOGRAPHE, UN APPAREIL À MÉLANCOLIE
dL : Un lapsus poétique ?… Ah oui. “Limographie”… Oh, seigneur.
Olivia HB : Donc vous vous parlez de la lomographie … Ce mode de technique photographique vient à contre-courant de l’appareil numérique. Celui-ci, de plus en plus perfectionné, offre à qui sait s’en servir un degré de pixels maximal, des photos parfaites léchées, une lumière impeccable, une stabilité de l’image malgré le mouvement ; alors que la tomographie recherche tous ces contraires ! L’audace de la lomographie est qu’elle est avant tout argentique ; on notera les trous de lumière, le grain parfois insistant, le flou qui donne toujours l’idée de mouvement, et cette qualité photographique très très imparfaite qui rappelle les daguerréotypes du 19ème siècle.
dL : Je vois. Très intéressant. Mais vous ne m’avez pas dit comment vous aviez découvert cette LOOOOmographie.
Olivia HB : Très jeune,
dL : C’est-à-dire ?
Olivia HB : Vers vingt ans, c’était en Irlande du Nord, lors d’une exposition de Philip Jones Griffiths sur l’Irlande du Nord, j’ai découvert une photographie d’un soldat. Ce n’est pas le sujet qui a retenu mon attention, mais toute la texture qui le recouvrait, cet aspect griffé, rayé, sale, sans lumière et pourtant qui donnait à ce portrait une vraie dimension. Cette photo, a été le début d’une recherche, commençant à bricoler mes propres filtres, les malmener, les rayer avec des cailloux pour retrouver et créer ce « dégueulasse » et pourtant si beau de l’image. Plus tard, il y a eu l’appareil Rolleiflex, et puis le vrai appareil Lomographie, qui en lui-même est quasiment un jouet puisqu’il est conçu du minimum et que sa précision est aléatoire. Alors étant imparfaite et incomplète, il me fallait l’appareil qui me corresponde.
dL : D’accord, je comprends ces aspects techniques. Ce que vous venez de dire, là, votre dernière phrase, “étant imparfaite et incomplète, il me fallait l’appareil qui me corresponde” : C’est une phrase dure et merveilleuse. Comme avec tous les artistes que j’admire, ça me donne envie de vampiriser ce qu’il se passe dans votre tête, pour comprendre comment vous obtenez un pareil achèvement artistique.
Olivia HB : Vous savez, chaque composition est le fruit du hasard : la capture de plusieurs instants, mixée à l’état d’esprit vécu. Généralement, mes photos hébergent deux instants, qui sont superposés, cela peut être un paysage et une silhouette.
Je remarque la présence systématique d’un sujet, la plupart du temps seul, que ce soit un individu lambda ou bien une mise en abîme de moi-même, en tout cas il y a toujours un rapport très éloigné à l’objectif, comme si l’on happait l’individu de son monde de pensées et d’observations, celui dans lequel il se trouve. Dans ces cas-là, le sujet est toujours en osmose avec le cadre dans lequel il évolue, s’y imprégnant complètement, jusqu’à parfois, quasiment, disparaître… Je ne parlerais pas de « romantisme photographique », même si chaque lieu semble l’état d’esprit de celui ou celle qui y évolue… Le cadre et le sujet sont solidaires.
L’appareil photographique et ses rendus si particuliers, lomographiques, apporte cet aspect de sfumato, de disparition ou bien de très fort contraste mettant en exergue le sujet photographié, et ceci même sous un grand soleil et un lieu plein d’allégresse. Un peu un appareil à mélancolie.
dL : D’accord. Dites-moi, j’ai fouillé et re-fouillé. J’ai trouvé Le Salon du petit format à Bordeaux, la Galerie Ohhh, à Lorient. Pourquoi n’exposez-vous pas plus, dans des galeries ?
Olivia HB : Vous touchez un point très intéressant au sujet de la photo contemporaine. D’abord, malgré quelques expositions, les conditions sont toujours financièrement un gros coût : choix du papier, encadrement, etc. et peu de galeries prennent en charge ce poids qui est lourd à assumer. Mais également, on est face à beaucoup de refus.
À l’heure de la surinformation, de l’image qui vous happe dès que vous tournez les yeux, la photo contemporaine n’est que très très peu acceptée. La volonté de recherche des galeries ou des festivals est de trouver des sujets photographiques de reportage, ou des sujets de rue. On revient sur ce point à la volonté de trouver une image parfaite, un instant, un miroir dans lesquels le photographe s’est investi physiquement dans une enquête d’images. Une demande de l’ailleurs est beaucoup mieux acceptée qu’une recherche intérieure.
dL : Impossible de ne pas évoquer cette photo qui vous a été volée, Strongly. C’est quand même dingue.
Olivia HB : Cette photographie m’a été “empruntée”, en me citant comme auteure, mais ce n’est pas l’emprunt qui a été plus dérangeant. C’est le détournement qui en a été fait.
Il s’agit d’une photo de rue, un double portrait, focalisé sur les larmes d’une petite fille, une scène qui s’est déroulée dans la rue. Marchant, j’entends des cris sur ma gauche, un hurlement de maman (ou du moins de femme) et les cris d’une petite fille. Errant, avec l’appareil en main, on ressent l’instant, alors cette petite fille traverse à à peine un mètre de moi et se jette dans les bras de cet autre enfant. J’ai capturé l’instant, cette petite demoiselle pleurant, se réconfortant dans ces autres petits bras qu’elle connaissait.
Cette photographie, anodine dans son contexte, a donc été reprise à ma grande surprise, pour illustrer un reportage sur la séparation des fratries lors des migrations de population en 2017. Ce n’était absolument pas le sujet de cette photo. Il fallait la conserver, qu’elle reste dans ce regard de la rue, sans aucun message politique. Je veux seulement la remettre dans son contexte d’errance banale et de petits caprices ou grosses colères enfantines.
Souvent, des images accompagnent les textes, y compris dans le domaine poétique, où chacun peut s’approprier une illustration pour étayer son propre point de vue ou l’emmener vers celle qu’il voudrait.
dL : Eh eh. Vous parlez, par exemple, d’un pouette qui aurait passé la nuit tout entière à “tenter” de décrire, en alexandrins et rimes croisées, un putain de coucher de soleil et qui, au réveil, se serait dit : “wouaw, je suis génial, mon sonnet mérite d’être accompagné d’un Van Gogh !”
Olivia HB : C’est effectivement un exemple extrême et esquissé joliment. Dès lors qu’une œuvre sort de son contexte, elle perd sa valeur intrinsèque au détriment d’émotions qui n’ont rien à voir. La question se poserait sur l’utilité de l’illustration d’un écrit ou, à l’inverse, l’utilité de mots sur une œuvre.
dL : Absolutely.
Olivia HB : On ne peut et ne devons ôter à chaque image, sa réalité et son contexte de création. Reprendre une image ou une photographie, c’est oublier qui l’a créée. Chaque photographie a un avant et un après, chaque photographe se souvient de l’histoire de chaque photo réalisée.
dL : À propos d’illustrations. Vous disiez, tout à l’heure, que c’était le hasard qui m’avait vu débarquer sur votre route. En fait, j’ai fondé les éditions sans crispation en 2014, je m’en suis occupé pendant quelques années. Traînassant sur internet, j’ai vu que vous aviez illustré la couverture d’un bouquin publié récemment par cette maison : Fractale, de C. Messyl. C’est comme ça que je vous ai découverte. Trois tableaux (ou trois panneaux), qui représentent une fleur… Heu… Une fleur d’abord toute molle, et qui devient roide. C’est érotique, ou ai-je l’esprit mal tourné ?
Olivia Hb : Sans vous souhaiter un torticolis à l’esprit, et là je reste bouche-bée, car nous ne l’avons jamais envisagé sous cet aspect du tout !
C’est vrai qu’il y a une vitalité, une envie de se redresser par rapport à la vie et la juxtaposition de ces images, comme on aurait coupé un film 8 mm et collé ces quelques images en fractale… Mais l’explication est écrite. À l’intérieur.
dL : Ok… “Un torticolis à l’esprit”… J’aime bien cette expression… Je ne sais pas d’où elle sort, mais j’aime bien.
Olivia HB : Vous avez voulu stopper avec le monde l’édition ? Est-ce indiscret de vous demander pourquoi ?
dL: J’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de ce que j’avais à faire. Ou plutôt, de ce que je pouvais faire. Je suis heureux et fier d’avoir publié ces quelques livres, mais j’aurais tôt ou tard fini par tourner en rond. Ce truc, “tourner en rond”, je ne pourrais à la rigueur le souhaiter qu’à mon pire ennemi.
Et puis, il faut de l’argent, pour éditer. Il faut de l’argent pour tout, d’ailleurs. Des gens disent que l’argent mène le monde. Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que, avec l’édition, je n’ai pas su en gagner assez pour chauffer ma piscine et ça, je n’arrive pas à m’en remettre. Trêve de bavardage. Olivia, connaissez-vous Thierry Girandon ?
Olivia HB : David, si vous saviez comme je suis inculte, dans le domaine de la littérature contemporaine ! Cette excuse permettant de vous dire, que je ne connais pas ce monsieur.
dL : Ce “monsieur” ? Thierry Girandon, madame, c’est le meilleur. Il n’y a pas d’autres mots. D’une certaine manière, c’est sa faute, si je me suis lancé dans l’édition, en publiant son recueil AMUSE-BEC. Et d’une autre certaine manière, c’est grâce à lui, un beau matin d’été, en 2021, que j’ai décidé d’en finir avec l’édition. J’ai sorti son 7ème livre. J’aime bien le chiffre 7. Et ce 7ème livre a pour titre : PERPÈTE. Voilà. Je commence avec un amuse-bec, je termine à perpète. Et bon sang, que je suis bavard. J’en oublie que c’est moi qui pose les questions, ici…
Tout ça me fait penser, enfin cool et loin de tout ça, à des choses qui ont eu raison de ma patience, qui ont fini par me débecter : le milieu consanguin de la “petite édition”. Toujours les mêmes têtes, toujours les mêmes obscurs blogs littéraires, toujours les mêmes lignes éditoriales.
Et je retombe sur mes pieds : Madame Hewson-Bonneau, vous travaillez, ou avez travaillé, comme illustratrice pour des revues en lignes et des micro-éditeurs. Ma question : qu’êtes-vous allée faire dans cette galère obscure ?
Olivia HB : Galère, c’est bien le mot et cette idée de devoir faire avancer un projet que vous traînez à force de bras et dans lequel vous vous investissez jusqu’à souvent perdre votre propre sensibilité personnelle au détriment d’une technique acquise, qui essaye de s’unir aux émotions d’une autre personne, en l’occurrence un auteur.
Intimidante, la poésie (puisque c’est le cadre dans lequel j’illustre) a cela, que l’on peut tout à fait passer à côté si notre lecture n’est pas exigeante ou si l’écriture est inabordable et dans laquelle on ne peut rentrer.
dL : De bonnes raisons pour passer son chemin, non ?
Olivia HB : Oui. Heureusement, une rencontre bienveillante m’a ouvert des portes et m’a fait confiance en toute chaleur : Jean-Louis Massot, qui a tout d’abord utilisé quelques images en feuillets intérieurs du livre de Fabien Sanchez Dans le Spleen et la mémoire et avec qui j’ai retravaillé pour un recueil personnel, pour une sortie en 2022. Et puis Ben Coudert, Voyage immobile, en 2021,mais encore une fois, avec ce monsieur, j’ai eu toute la liberté possible et de très beaux échanges : une chance merveilleuse, de qualité.
L’illustration peut se réaliser aussi dans des petites oeuvres filmées. Avec ma complice Lili Frikh, nous avons, à partir de sa voix, de ses mots, sur une musique originale, oeuvré à des microfilms de quelques minutes, qui ont eu la chance d’aller devant un public.
dL : Ah oui ! J’ai vu deux films, sur Youtube, Trottoir et Noir de vivre. Une autre facette de votre travail. L’on y retrouve votre patte visuelle, pour dire les choses simplement.
Olivia HB : Avec ces microfilms, c’est une recherche plus fragmentée d’instants, de moments, un temps encore plus important de recherche. Et puis se donner le luxe, puisqu’en général aucune illustration n’est rémunérée, hormis en droits d’auteurs parfois suite à la vente et distribution, de refuser si le lien n’est pas présent ou bien si l’affinité est impossible.
J’ai de toute façon une pensée pour toutes les revues, qui sont la plupart du temps un asile pour les illustrateurs et les auteurs. Sans celles-ci, peu de lieu d’expression seraient permis. Nous sommes pléthores à les remercier d’exister pour la petite lumière qu’elles offrent à chacun.
dL : D’accord. Je dirais bien deux ou trois choses qui me chiffonnent là-dedans – toutes ces revues, tous ces asiles ! – mais l’important, je suppose, c’est que tout le monde ou presque s’y retrouve. Ok, c’est l’essentiel. Encore quelques mots, Olivia, sur ces illustrations ?
Olivia HB : La grande contrainte de l’illustration est que vous devez essayer de vous glisser dans l’esprit de quelqu’un qui écrit une image et qui, en même temps, la pense et vous demande de la restituer.
On essaie un viol de l’esprit, une hypnose les yeux bandés. Ce ne sera que le regard de l’auteur qui vous dira si vous êtes tombé dans le mille, si la cible est atteinte.
dL : C’est horrible, en fait, comme boulot.
Olivia HB : Vous vous oubliez vraiment, le temps de ce travail, laissant votre main et votre technique prendre le pas sur vos émotions, puisque ce sont celles d’un tiers que vous devez mettre en image, pendant quelques semaines. Et donc après, souffler fort si le résultat est satisfaisant et trouver un moyen de décompresser puisqu’on ne sait pas faire les choses sans avoir l’impression d’y jouer sa vie. Car c’est un TRAVAIL.
Mais au final, c’est joie, cette confiance, même si l’illustrateur est souvent dans l’ombre des mots. Mais c’est très bien ici, cette part d’ombre, vous savez.
LINOCUT & FINAL
dL : J’imagine, oui. Vous dites : “souffler fort” : vous décompressez comment, après ces sortes de « combats » ? Si mes infos sont bonnes, vous faites broder… euh… des « petits sacs en culottes ». Qu’est-ce que c’est ?
Olivia HB : En étant égoïste, je souris bien sûr ; en mettant de côté quelques demandes d’autres ouvrages et en essayant de créer un peu pour soi et par soi : la linogravure est un travail physique – le grattage d’une plaque pour y déposer un dessin en profondeur, et en relief un motif – est une technique qui demande un geste physique. C’est aussi un travail de concentration qui permet d’être dans l’instant, comme dans une bulle où on ne pense à rien d’autre. Cette démarche est assez proche, dans sa finalité, du développement argentique. Dès lors que le motif est réalisé, il reste à l’encrer : le noir, l’œuvre au noir, comme en chambre du même nom. Ce n’est qu’à ce moment-là que vous découvrez réellement votre dessin. Tout comme le bain révélateur. Il existe vraiment des parallèles, même si on semble se perdre et s’essayer à différentes techniques.
Comme vous le dites, ces petites futures culottes sont parties se faire broder… Le noir essaie de se colorer sous la main de Véro Ferré que j’ai rencontrée en tant qu’autrice/auteure ( sorry, je ne sais jamais) et qui brode rock’n roll !
dL : Si vous voulez qu’on soient amis, il n’y a pas d’autrice qui tienne. L’écriture inclusive, c’est de la merde, croyez-moi sur parole.
Olivia HB : Hahaha ! Ces mots foutent le bazar.
dL : Tant pis. Secundo : Vous aimez le rock’n’roll ? Moi, j’adore.
Olivia HB : Je suis en amour des Smiths et de Morrissey . Découvert au début des années 90 , dans l’album « Bona drag », et surtout cet émoi de toute jeune ado, de le voir se déhancher sur « November spawned a monster » , puis explorer tout le passé des Smiths, et encore maintenant, même si les albums de Morrissey sont de moins en moins percutants, on trouve toujours une pépite. Alors oui, fan de pop, et surtout de gros son, sans trop d’électro, et curieuse des nouvelles sorties… Un peu blues du désert aussi, comme Ali Farka Toure et Ry Cooder, que j aime déguster à la clope et au whisky ! Mais l’opéra également est très rock’n roll !
dL : Mais oui, absolument. Rossini, surtout. Son « ouverture » de Guillaume Tell me tue. Ah, la musique… Je savais qu’à un moment ou un autre, nous parlerions musique. Quand j’ai découvert vos photos, j’avais JOY DIVISION en tête, obsédant…
Olivia HB : Nous sommes la génération Joy Division, Sisters Of Mercy, Virgin Prunes… Votre réflexion est pertinente car je l’ai déjà entendue, alors que les personnes qui me côtoient savent que je suis un peu, beaucoup dans la joie de vivre ! Mais votre analogie à ce groupe et leur univers, renvoie bien sûr à un sujet familial évoqué plus haut.
dL : Avec vous, on navigue, on va-et-vient aisément entre le rire et l’enthousiasme, et des brumes… euh… sépulcrales. Vous ne semblez pas vraiment vouloir briller sous les projecteurs, tout en accumulant les collaborations et les projets. Je n’ai pas de question précise, pour terminer cette conversation – car il faut bien terminer : juste, votre ressenti final. Vous faites un travail remarquable, tout en restant tranquille dans votre coin, si je puis dire.
Olivia HB : On ne vit de rien de tout cela, vous le savez vous-même, David ! Mais on essaie, on s’accroche et même dans les moments d’exacerbation, on se dit qu’on a de la chance d’avoir été vu, lu ou demandé…ç’aurait pu ne jamais arriver. Il suffit de quelques rencontres, de mains tendues, d’une volonté de passage, d’enthousiasme et un peu de folie, comme vous l’avez donnée en me proposant cette interview, en donnant une place à quelqu’un que vous ne connaissiez pas, en lui offrant votre confiance et sachez qu’elle est réciproque. Un petit coin en noir sur blanc où dire, où penser, où raconter et parfois grogner. Ce petit coin il est là et du coeur, merci de l’avoir créé, David !
Interview réalisé par David Laurençon
Paris, le 7 février 2022
BIBLIOGRAPHIE
Dans le spleen et la mémoire, Fabien Sanchez, ed carnets du dessert de lune ( 2016)
Nuages de saison, Jean-Louis Massot ( 2017)
Fable, Anne Bernasconi , ed Apeiron ( 2019)
Voyage immobile, Ben Coudert, Ed Unicité ( 2021)
Derrière la porte étroite, Fabien Sanchez, ed à l’index ( 2021)
EXPOSITIONS
Salon du petit format, Bordeaux, 2019
Exposition Permanente à la Galerie Oooh à Lorient
Publication dans le magazine Photo, aout 2019
Projection du film « Noir de Vivre », sur un texte de Lili Frikh, cinéma Lux, Avignon, Octobre 2020