C’est par une bouleversante nouvelle, Cafard, parue dans le livre collectif « Sans crispation » (éditions sans crispation, 2021), que j’ai découvert l’écrivain Stéphane Blanchet : ruée vers son seul – à ce jour – et puissant recueil, Aime ton prochain, auto-édité deux ans plus tôt : BOOM-BOOM ! – révélation & confirmation du choc initial.
INTERVIEW
réalisé par David Laurençon
dL : Dans la chronique consacrée à Aime ton prochain, je prédisais que vous deviendrez un grand écrivain. Sauf qu’on attend toujours votre prochain bouquin. Attendez-vous le déluge, monsieur Blanchet, pour sortir ce livre ?
Stéphane Blanchet : Merci David pour ces compliments, on peut s’arrêter là ?
dL : Vous êtes déjà fatigué ? Allez donc faire un petit somme. Une micro-sieste. On dit que c’est très-réparateur.
Stéphane Blanchet : On touche ici un point essentiel : j’ai toujours admiré les gens capables de s’endormir à toute heure et de se réveiller un quart d’heure plus tard en pleine forme. La dernière fois que j’ai essayé, il était minuit à mon réveil, tout était noir, j’ignorais si nous étions lundi ou mardi, et y’avait des hyènes qui suçaient la panse d’un zèbre mort à la télé. J’ai eu très peur.
dL : Je vois. Flippant. Avez-vous un problème avec la drogue, monsieur Blanchet ? Une consommation d’alcool dé-raisonnable ? Un toubib complaisant ? Des ordonnances pour toutes les couleurs de l’arc en ciel ?
Stéphane Blanchet : Mon signe astrologique est celui de la vierge et je suis écrivain, ce qui, je pense, répond à votre question.
dL : Ô Seigneur, ça ne va pas être de la tarte… Je vais m’y prendre autrement, et revenir à Aime ton prochain. Je ne suis pas le seul à avoir adoré ce bouquin. Amélie Nothomb, qui est également et grandement célèbre pour avoir la tête sur les épaules, vous a fait des compliments pas dégueulasses. Pouvez-vous me raconter l’histoire ?
Stéphane Blanchet : Eh bien, elle a aimé Aime ton prochain et m’a envoyé une carte d’encouragements, à laquelle j’ai répondu par une nouvelle pour la remercier. Une semaine plus tard, elle me téléphone un matin d’été pour dire qu’elle a aimé la nouvelle, et tout bascule quand je lui demande comment elle va ( « ça ne va pas »). Elle me raccroche au nez. Je rumine toute la journée sur ce que j’ai bien pu dire pour la froisser, puis je me souviens que son père vient de mourir en Belgique… Quelques mois plus tard sur Facebook, je tombe sur le post d’une auteur en herbe qui partage une carte qu’elle a reçu d’Amélie Nothomb encensant son bouquin, et les mots employés sur la carte sont quasi les mêmes que sur la mienne. Voilà pourquoi il ne faut pas se croire un écrivain unique sur la base des flatteries d’une auteure célèbre qui a bien compris qu’un bon service après-vente crée des lecteurs fidèles.
dL : Ouais. Vous m’avez permis de découvrir cette nouvelle, offerte, et inédite je crois : Stupeur et Détergent. C’est une superbe nouvelle de type scato-surréaliste bourrée d’humour. Cette appellation vous convient-elle ?
Stéphane Blanchet : Pourquoi pas. Je l’ai écrite à la manière de Bukowski. C’est en apparence trivial, mais finalement assez sombre en arrière plan. Et puis ne dit-on pas in Caca veritas ?
dL : Jamais entendu parler de caca veritas. Bon. À côté (côte-à-côte, pour ainsi dire) du genre trivial-sombre-facétieux, il y a, par exemple, ce texte splendide, Cafard, que vous avez publié chez Sans crispation, vous prenez le lecteur aux tripes. C’est une nouvelle formidablement émouvante. Vous êtes capable d’exceller dans des registres différents, quasiment opposés. De la franche rigolade, proche de la bouffonnerie, à l’expression d’une grande sensibilité.
Stéphane Blanchet : J’ai écrit cette nouvelle après l’enterrement d’un ami. Elle est assez personnelle. Je ne pensais pas la voir éditée un jour. Et puis Philippe Sarr, des Éditions Sans crispation, m’a contacté, en quête de textes pour un chouette recueil de nouvelles. Je lui en ai fait parvenir trois, il a choisi celui là et j’en suis très content.
dL : Je ne sais plus où, dans quel référencement, à propos de votre recueil Aime ton prochain, j’ai lu dans les « Tags » : « fiction », « humour », « nouvelle », « littérature française », « horreur ». Horreur ?
Stéphane Blanchet : Je pense que des nouvelles comme Canard laqué ou Nouvelle cuisine, sont des histoires horrifiques, oui. Et puis, il y a aussi le jeu du marketing, si on veut que des curieux tombent sur le bouquin, il faut multiplier les hashtags, sans pour autant tromper le lecteur sur la marchandise. J’en profite pour remercier Bénédicte Le Bris, pour avoir réalisé la mise en page et la couverture du livre. Elle a été très patiente avec mes exigences, et le résultat est cool.
Aime ton prochain
Nouvelles / autoédition
EAN13 : 9781700684080
210 pages
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dL : Dans Stupeur et détergent, il y a cette réplique : « Aider mon prochain contre de l’argent est le moteur de ma vie d’artiste ». Le personnage est un brave gars, un peu looser sur les bords. Cette réplique est drôle, ironique, désenchantée. Permettez-moi de vous poser la question la plus stupide jamais posée à un auteur : croyez-vous que l’art ou la littérature, monétisation ou pas, puisse aider qui que ce soit ?
Stéphane Blanchet : Je vous réponds par un autre extrait de Stupeur et détergent. Le personnage, qui est un écrivain en panne d’inspiration, répond à la femme qui lui demande en quoi consiste le métier d’écrivain : « À Rendre les gens moins seuls et éviter d’avouer qu’on est chômeur à son banquier ».
dL : Amusant. Mais pas sûr qu’un banquier s’exalte à l’idée d’avoir un client écrivain.
Stéphane Blanchet : Sauf s’il a un peu de flair et repère le nouveau Guillaume Musso. Il gagne très bien sa vie, il paraît…
dL : Tout autre chose : votre nouvelle Phone Breaker va être adaptée au cinéma. Il s’agit d’un court-métrage réalisé par Hamza Atifi. C’est un copain à vous ?
Stéphane Blanchet : Hamza est un réalisateur Marocain qui a raflé quelques prix, je crois. Il est tombé sur le texte de Phone Breaker par hasard, mais je ne le connaissais pas avant. J’avais publié ce texte il y a bien longtemps sur l’un des sites littéraires où j’allais chercher des avis (Plume d’auteur, je crois). Hamza m’a contacté par mail pour l’adapter, il y a plus de 5 ans. Quelques synopsis ont vu le jour, mais le budget manquait. Et puis, il y a un an, il me relance : il a trouvé les fonds pour le film. L’affaire des écoutes du roi du Maroc a motivé une société de production à produire le projet (mon histoire parle d’un genre de super Héros qui détruit les portables pour sauver les gens de leur addiction au smartphone). J’attends le résultat avec impatience.
dL : Il semble que beaucoup d’écrivains rêvent, plus ou moins secrètement, de « cinéma ». Qu’en pensez-vous ?
Stéphane Blanchet : Ce n’est pas vraiment mon cas. Il y a une forte possibilité de voir son œuvre dénaturée. Ça peut être à double tranchant. J’essaye déjà de chier un bon roman.
dL : Une adaptation au cinéma rapporte de l’argent. Vous ne voulez pas gagner de l’argent ?
Stéphane Blanchet : Gagner de l’argent ne me pose aucun problème moral. C’est la manière de le gagner qui compte pour moi. Si ça signifie se compromettre pour en gagner davantage… J’ai du mal.
dL : « J’essaye déjà de chier un bon roman » : voilà nous qui ramène, pardon de vous le dire, à ma première question, que vous avez éludée.
Stéphane Blanchet : Laquelle, David ? La constipation ?
dL : Dites-donc, vous êtes sacrément branché trou-qui-pète, vous. Ma question, donc : c’est si difficile que ça, pour vous, de terminer un livre ?
Stéphane Blanchet : Ah, cette question là… J’ai lu un truc sur Simenon qui terminait ses romans en sept jours, ça laisse rêveur… No comment.
dL : D’accord, pas de comment. Ah, si : vous êtes passionné de littérature américaine, pas vrai ?
Stéphane Blanchet : Oui, Carver, Bukowski, Ellis, Fante, Didion, Dick… Les auteurs américains (et asiatiques) ont cette politesse de disparaître derrière leurs histoires. En France on fait du style pour le style, et le style devient souvent l’objet du livre. Derrière chaque phrase l’auteur nous dit « Hé ! T’as vu comme j’écris bien ! Et cette tournure, tu l’aimes, cette tournure ? Et ma métaphore, tu l’aimes, ma métaphore ? » Ca doit être culturel, parce que je suis comme ça à l’origine. Je travaille beaucoup à contrer mon lyrisme gaulois et à refroidir mes phrases, ces temps-ci. Bon, ok, il y a des exceptions, comme le style de Céline par exemple. Mais la différence entre Céline et Beigbeider, c’est qu’écrire Voyage au bout de la nuit dans les années 30, c’est couillu et génial, et surtout derrière le style, il y a du fond ; dans les années 90 révéler que dans la pub on prend de la coke et que les marques dirigent nos vies, même si c’est bien écrit, ça fait vendre, mais ça n’éclaire pas beaucoup ma vision du monde.
dL : J’adore Kerouac. L’un des meilleurs écrivains du monde, selon moi. On dit qu’il a écrit Sur la route d’une seule traite. Dans les faits, oui, il a écrit son manuscrit sans s’arrêter : un seul jet. On parle là du manuscrit original. Le texte publié, lui, a mis des plombes à voir le jour. C’est comme ça.
Stéphane Blanchet : Arf, désolé, je suis hermétique à Kerouac… J’ai essayé. La syntaxe, ses foutues virgules me gâchent la lecture. C’est la même chose avec Borgès. Mais je referai un essai, promis. Parfois on n’est pas prêt pour un livre au moment où il vous tombe dans les mains.
dL : Votre écriture est sûre, efficace, maîtrisée. Le rythme est impeccable, les histoires racontées délectables. Rien à redire. Pourtant, et pour vous avoir côtoyé un peu, un tout petit peu, vous semblez douter de vos capacités. À un point rare. Doutez-vous comment, monsieur Blanchet ?
Stéphane Blanchet : Merci. Je crois que le pire ennemi d’un auteur est son envie de faire trop bien. Surtout sur un premier roman (qui est en réalité mon troisième). Il y a une paralysie intermittente due à cette envie qui me pousse parfois à squatter les dix mêmes pages pendant deux mois, en quête de la bonne construction, du bon rythme, au lieu de passer à la suite, et d’y revenir après. Je perds beaucoup de temps. Là où c’est pathologique, c’est d’en être conscient et de ne pas pouvoir cesser de le faire. C’est un peu comme s’arrêter au milieu de la course parce qu’on a un pneu légèrement dégonflé alors qu’il n’empêche pas la voiture de rouler (analogie incroyablement médiocre). On en revient à la question de l’enjeu. Si on écrit sans désir d’en vivre, je crois qu’on s’en sort mieux, et peut être même qu’on écrit de meilleurs bouquins. Si on souhaite publier, il faut trouver un équilibre entre le lâcher prise et le contrôle pathologique de la moindre virgule. Mais je crois que ce syndrome de l’imposteur est assez largement partagé par la plupart des auteurs. Avec le temps, on apprend à accepter de haïr son manuscrit le lundi, pour réapprendre à l’aimer le mardi, pour de nouveau le détester le mercredi, et donc à gober de l’Oméprazole un jour sur deux.
dL : De l’Oméprazole ? C’est bien ce que je pensais…
Stéphane Blanchet : Ça marche aussi avec le Saint-Chinian.
dL : Ok. Pendant ce temps que tant de gens se prennent pour des superstars dès lors qu’ils impriment un truc sur papier, douter et être discret relèvent d’une sorte d’élégance rafraîchissante. C’est aussi pour ça, que j’ai souhaité cet entretien avec vous.
Stéphane Blanchet : Ne vous méprenez pas. Il y a deux facettes à ce que vous appelez « l’élégance ». D’un côté, il faut rester lucide et accepter qu’on ne va pas révolutionner le monde de l’écriture, et de l’autre, il faut être puissamment orgueilleux pour prétendre avoir quelque chose à raconter qui mérite d’être imprimé. Alors pas d’inquiétude, David, si je me fais un nom, je ne vous calculerai plus.
dL : Je suppose, oui. Comme dit mon ami Gérard : « Les gens célèbres sont en général très cons ». Bah, peut-être que vos biographes me citeront comme le premier balochard de l’Histoire à vous avoir interviewé. Et vous savez, quand vous vous serez fait un nom, des balochards, ce n’est pas ce qui manquera dans votre entourage.
Stéphane Blanchet : Je ne cherche pas à me faire un nom, juste à chier un bon bouquin, David. On trinque quand vous voulez.
dL : Avec plaisir. Vous me parlerez enfin de ce manuscrit en cours… Roman ? Nouvelles ? Allez, ne vous défilez pas : quelques mots, et je vous laisse tranquille.
Stéphane Blanchet : C’est un roman sur la dissonance cognitive engendrée par notre époque (qui est une des fondations de l’emprise sectaire et individuelle), la manipulation, et la normalisation du narcissisme, qui se déguise aujourd’hui derrière des airs d’empathie et de bienveillance. Ça s’annonce assez dur. Je crois qu’aucun éditeur n’en voudra, mais, sait-on jamais… Peut-être qu’on se retrouvera pour en parler.
La nouvelle Cafard, à lire dans le recueil collectif
> Sans crispation.
Editions sans crispation, 2021
EAN13 : 9791095024057
166 pages