THE POGUES

SHANE MACGOWAN

Shane MacGowan – Photographie de Martyn Goodacre

Par Guy torrens

30 novembre. Je me réveille sans illusion sur l’état du monde et la couche supplémentaire : Shane Mac Gowan est mort. Je me dis que ma discothèque ressemble de plus en plus à un cimetière avec quelques survivants qui surnagent. Deux morceaux en fin de nuit quand l’aube commence à poindre et que la fatigue et l’alcool me prenaient Cosney Island de Lou Reed et Dirty old town des Pogues. Nostalgie.

1988. Concert au Zénith de Paris. J’y étais allé me rendre compte que le Punk n’était pas complètement mort et qu’il bougeait encore et surtout que Shane me fascinait. Première apparition publique, la gueule de Shane en sang ( on lui avait mordu l’oreille dans un pogo) sur un tabloïd anglais qui délirait sur le cannibalisme dans les concerts punks, histoire de faire peur à la ménagère de cinquante ans et puis les disques imparables de joie de vivre avec des paroles décalées qui parlent des derniers de la classe, des oubliés, des mélancoliques au fond d’un pub enfumé des destins fracassés. Je ne les avais jamais vu en concert et malgré l’ombre du Clash, impatient dans une salle électrique. Ils arrivent et d’emblée les pogos commencent, comme si on attendait cette musique de folk déjanté pour respirer enfin et Shane Mac Gowan au milieu de tout ça, une sorte d’aristocrate crétin, un grand chat de gouttière, efflanqué, toujours un verre à la main et les lunettes noires, accessoire vital. Le groupe se déchaîne, à coup de tambourins tapés sur le front, de chœurs autour de cette voix râpeuse, une version brûlante de London Calling, et Dirty Old Town pour assaisonner une dernière fois avant la fin et le retour dans nos cases. Des mots écrits après pour LV3S : Hier je t’aimerai dans un bar de New York, dans les parkings de nuit, au milieu des voitures défoncées, des rats angoissés par leur prochain repas, ces cris je les pousserai, à te glacer d’effroi, le cris de mes amants morts nés. Une sorte d’hommage à la cohorte de paumés.

2012. Concert à l’ Olympia. Retrouvailles. Shane avait disparu de mes radars et les Pogues même avec Jo Strummer n’avaient pas retrouvé cette alchimie si particulière et cette joie dans le chaos. Et puis il était revenu, comme un frère dont on attend le retour. J’ai eu du mal à le reconnaître, grossi, bouffi et puis il s’est mis à chanter, plus de doutes, il était bien là. Émotion intacte, pogos déchaînés, sans moi ce coup-ci. Une distance de l’âge. Port de l’angoisse, je bois tes mots pas tes lèvres ton désespoir pas ton corps. Nostalgie du temps qui passe, des effluves de jeunesse , l’esprit du punk qui continue à couler. Un moment de plaisir dans cette salle mythique et bondée. La fête for haine bat son plein dehors et l’instant magique de Fairytale of New York, une danse pataude pour dire la grâce du désespoir avant de se séparer.

2023. Ce documentaire qui lui est consacré que je regarde sur Arte et qui me met les larmes aux yeux de le voir diminué à ce point, s’échappant par moments et le retour de cette parole douce et ironique, presque sereine et son regard aigu. J’ai remis sur la platine, le vinyle de Rum Sodomy & Lash et j’ai rêvé à ce Punk romantique. Je te revois sur la plage, les yeux perdus dans un lointain silence. 10000 euros de Guiness pour continuer à boire et à chanter et à danser.

Un escalier pourri, un coin de désert froid, le vieux est monté, il puait salement, la gnôle la sueur et la mort. On ne répond pas aux appels entre chiens et loups. Accroche-toi mon amour le monde est devenu fou. Une oraison funèbre écrite il y a 30 ans pour notre groupe et que je lui dédie même s’il ne me connaît pas.

So long Shane et merci.

Guy Torrens, le 25 décembre 2023


Guy Torrens est romancier, poète, nouvelliste. Dans les années 90, il a été le parolier et chanteur du groupe punk LV3S. > Chronique LV3S

Shane
CONCERT LV3S, VARSOVIE, OCTOBRE 1992

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