Plutôt que des interviews, ce furent des CONVERSATIONS, de vraies, longues et bonnes vieilles conversations que j’ai eues avec des personnalités, artistes et écrivains que j’admire.
David Laurençon,
La galette amuse-bec des ROIS : pour le commencement de 2024, je leur ai demandé : « Quoi de neuf ? », je leur ai demandé de m’envoyer un petit quelque chose, un petit quelque chose aux lecteurs du webzine amuse-bec.
Merci à eux, pour tout. Merci infiniment.
Voici leurs grands quelque chose – vœux, illustrations & textes inédits – dans l’ordre presque chronologique de publication des conversations.
Conversationneur et fondateur d’amuse-bec.com
TJ OWENS : UNE NOUVELLE ÈRE,
“entering a new phase of life “, TJ OWENS, 26 décembre 2023
Mix technique on paper; 9×12 inches
> Néo-expressionnisme / conversation avec l’artiste américain TJ OWENS
THIERRY GIRANDON
« Grâce à une courte échelle, j’atteins les barreaux de ma fenêtre. Par la force des bras, je me hisse jusqu’à elle et regarde dehors. J’ai fait de la gymnastique dans mon jeune âge. Certains matins, il m’arrive encore, au lever, de réaliser une belle fente avant que je transforme en une planche : en équilibre sur une jambe, le dos à l’horizontale, les bras joliment écartés. Jusqu’à ce que je tombe à genoux.
Par la fenêtre, je vois les longs barreaux de vapeur dessinés par les avions dans le ciel gris. Des étourneaux font la ronde, silencieux. Des corbeaux vieillissent sur les antennes râteaux désormais inutiles. Il y a aussi des barreaux aux fenêtres des immeubles. Quelqu’un me regarde ou regarde le vide. Il vit. Son souffle agite faiblement le rideau. D’autres regardent à la télévision des flics faire respecter la loi ou des couples s’aimer, se déchirer. Un jour, j’ai vu une femme nue traverser son salon.
J’ai fait de la gymnastique dans mon jeune âge, mais mes bras grêles ne me supportent plus. Mes mains cèdent. De l’immeuble en face, on me montre du doigt, horrifié ».
> Conversation à la coule avec le nouvelliste et romancier Thierry Girandon
IHOR RANTSYA,
Vicaire général de l’Éparchie Saint Volodymyr le Grand :
« Chers lecteurs d’AMUSE-BEC,
Bonne Année 2024 !
Qu’elle soit une année de victoire
de la lumière sur les ténèbres,
du bien sur le mal,
de la foi sur l’ignorance,
de la vérité sur le mensonge,
de la beauté sur la laideur.
J’espère que l’art, qui est au centre de l’intérêt d’AMUSE-BEC, contribuera à la réalisation de ces souhaits, et j’invite à contempler l’icône ukrainienne de la Nativité du Christ, “actualisée“ par la guerre ».
IHOR RANTSYA
> Conversation avec Ihor Rantsya
STÉPHANE BLANCHET
« Cher Amuse-bec,
À l’heure où j’écris ces lignes, je suis en robe de chambre, et il fait un peu froid dans la pièce. Tu m’as demandé : quoi de neuf depuis ton interview dans Amuse-bec, Stéphane ? Eh bien…
J’ai offert un manga à mon petit neveu à Noël, et j’ai l’impression qu’il ne l’a pas aimé. Mon frère sortait de la grippe, ma mère m’a acheté un drap-housse pour mon matelas, les chocolats Jeff de Bruges étaient corrects, je n’ai pas grossi ; j’ai eu mon premier Covid au mois d’octobre (pas de toux), et mon rendez-vous chez l’ORL, s’est bien passé : pas de cancer.
J’ai compris la parabole du chat de Schrödinger, j’ai de plus en plus de mal avec ceux qui téléphonent sur haut-parleur dans le tramway, un marqueur de l’âge qui m’effraye, car je crains de me faire appeler boomer, alors que je suis en réalité de la génération X (qui, au passage, est aussi le titre d’un excellent bouquin de Coupland), et que le boomer, c’est mon père. J’ai d’ailleurs dîné avec lui avant Noël, et il allait bien, je crois, mais cette génération-là répugne à parler de sa santé – ce que je trouve particulièrement sain (il m’a répondu « je ne serais pas là, si je n’allais pas bien »).
Des constantes : j’ai de moins en moins besoin des autres et je me demande si c’est normal ou très égoïste. Je me raccroche à la phrase de Bukowski « Vous appelez cela solitude, j’appelle cela liberté », mais parfois, toujours en robe de chambre, devant mon écran, à traquer les virgules renégates, tandis que le frigo grésille sur un air de reggae (je suis les conseils d’un gourou d’internet qui prétend qu’il faut faire entrer des ondes positives en soi pour être heureux, ceci inclut la musique, les informations et les gens), je m’interroge : tout cela n’est-il pas le produit d’un ego démesuré ?
Ça m’angoisse, l’ego.
Il y en a trop.
Partout.
C’est peut-être mon roman qui déteint sur moi. Je prévois de le terminer cet été. Le titre devait être L’égoïste, mais ce sera Ego, titre qui, je trouve, rendrait vachement mieux sur une couverture jaune de chez Gallimard. La réécriture avance bien. J’arrive au point crucial où, tout écrivain le sait, le couperet doit tomber : ai-je passé deux ans à écrire une grosse daube ou un chef-d’œuvre ? J’évite d’y penser.
Hé ! Le film tiré de ma nouvelle « Phone Breaker » est sorti au Maroc. Nous avons été sélectionnés en compétition au festival du film de Tanger, sans recevoir de prix. Tant pis. Si ça te tente, la bande-annonce est sur You Tube et ma page d’auteur Facebook.
Mais voilà que je parle encore de moi… L’ego, l’ego, l’ego…
Franchement, qui ça intéresse ?
Les gens n’ont pas changé, moi non plus ; on se tolère, on s’évite, parfois on s’aime, rarement on s’écoute.
J’espère que tu vas bien, sans être certain que la réponse me concerne.
Je t’embrasse, cher Amuse-bec, et cette fois je suis sincère.
Stéphane Blanchet ».
> Conversation avec Stéphane Blanchet
ÉRIC BONNOT
« Bonjour à tous ! Quelques lignes afin de vous souhaiter une excellente année ! J’aurais aimé vous faire découvrir de nouvelles réalisations, mais un imprévu de taille m’a obligé à reléguer tout cela à 2024 ! (que je me souhaite donc, également bien bonne ! ) À bientôt donc ».
Conversation avec Éric Bonnot, sculpteur et forgeron :
> MAGIE & MYSTICISME
OLIVIA HEWSON-BONNEAU
« Pourquoi on a un secret ?
Tu connais le mot « présages »?
Ça veut dire que quelquechose va arriver… Peut-être pour moi d’ailleurs ?
Ça va arriver comme un espoir secret. Alors tout à coup, on aura plus de secrets.
En attendant, viens, ôte ton manteau comme tu ôterais les mots superflus
et laisse-moi te faire voir,
et te regarder
si tu sais comprendre… »
> Conversation avec la photographe et illustratrice OLIVIA HEWSON-BONNEAU
QUOI DE NEUF,
PHILIPPE SARR ?
« Quoi de neuf depuis la dernière fois ?
La dernière fois c’était quand déjà ? Il y a mille ans voire plus ? Une année cela peut sembler très long, surtout si l’on ne s’en tient pas qu’à cette seule dimension, temporelle je veux dire. Parce qu’il ne s’agit pas que de cela. Vous en conviendrez, réfléchissez deux secondes… À quoi mesure-t-on le temps ? Aux heures ou aux jours et aux mois qui passent ? Vous savez fort bien que non, n’êtes pas sans ignorer que ce ne sont que de simples conventions. Qu’il faut tenir compte d’autres paramètres… c’ est un secret que chacun de nous partage… À savoir que nous sommes à ce point fragmentés que chaque fragment qui nous constitue dispose de sa propre horloge. Que des parties de nous vivent sans doute à d’autres époques que celle-ci, certaines ayant probablement déjà un pied dans un futur proche ou lointain (surtout pour un écrivain ou un éditeur)… Mais vous vous imaginez dire ça à un proche ou un collègue devant la machine à café, au moment où chacun prend des nouvelles de l’autre ! T’as fait quoi hier ? Euh, ça dépend de comment je me situe… Peut-être pour ça que ce monde nous paraît si dingue et incompréhensible parfois !
Alors à la question « quoi de Neuf ? » je serais tenté de répondre dans un premier temps : pas grand chose, puis me raviser et admettre qu’il s’en est tout de même passé des choses ! Dont une à laquelle je ne m’attendais pas, mais alors du tout du tout : me retrouver à bord d’un zingue, ce que je n’avais plus fait depuis des onces d’ éternité. Pour me rendre où ? Loin d’ici… bien plus que vous ne l’imaginez… Parce que cela non plus ne se mesure pas si aisément ni selon les données habituelles…
Enfin tout ça pour dire que 2023 fut une année mouvementée, éditorialement notamment, mais pas que, loin s’en faut… et que 2024 s’annonce tout aussi riche et créative ! En espérant qu’elle le soit pour vous lecteurs. Et qu’Amuse Bec continue de nous étourdir joyeusement ou non d’ailleurs, comme il le fait depuis plusieurs mois déjà !
Amen »
> Conversation avec l’écrivain et éditeur PHILIPPE SARR
QUOI DE NEUF,
FRED LE FALHER ?
« Notre denier échange, c’était autour du livre « Gainsbourg » (éditions Balivernes), fin 2021. Ça fait deux ans, alors quoi de neuf depuis ? D’abord un troisième bouquin, toujours chez Balivernes : « Nino Ferrer », un livre-disque accompagné d’un CD de reprises signées La Bande à Gaston. Le quatrième est sur les rails : peut-être bien « Elvis », mais l’entourage de l’éditeur lui suggère de faire un bouquin sur une artiste-femme, parité oblige… Fait chier : d’abord c’est plus dûr à dessiner, les femmes, et puis ensuite, quelle chanteuse pour rivaliser avec Elvis ??? Moi je vois pas. En attendant, quoi d’autre à signaler depuis 2021 ? Toujours amoureux de ma meuf ; les enfants qui grandissent et qui nous font bien marrer ; les travaux dans la maison qui avancent lentement mais surement ; des nouveaux arrivants poilus dans la famille (5 chats qui ont rejoint le lapin-nain) ; toujours prof et j’aime toujours ça (malgré tout !) ; pas mal de concerts tout petits (souvent) ou très gros (Springsteen au mois de mai) ; plein de sérigraphies avec ou sans les élèves ; pas mal de bières ingurgitées donc forcément, parfois, des bonnes cuites ; toujours pas végétarien, et pas demain la veille ; des manifs qui ont servi à rien l’an dernier ; des affiches pour des trucs assez variés + 9 pages de BD sur des athlètes féminines auvergnates, pas du tout mon registre mais c’était cool à faire ; des films et des séries d’action regardés avec ou sans ma meuf selon le degré de violence et de noirceur ; des copains que je ne vois pas assez souvent mais quand on se voit, c’est toujours des bons moments ; des soirées à faire le DJ occasionnel à grands coups de 45 tours ; zéro roman lu (je sais, c’est mal) mais par contre des biographies rock et beaucoup de presse ; la mort de Shane McGowan qui m’a fait verser une larme ; et toujours ce projet de bouquin sur l’épopée des Verts auquel il va bien falloir que je me consacre sérieusement… Tout ça en vrac et en oubliant plein de trucs mais bah, c’est pas grave. David et tous tes lecteurs, je vous souhaite une belle année 2024 et je trinque à votre santé, et à la vie en général, et à celles et ceux qui la peuplent ! Yeaaaaaah !!! »
FRED LE FALHER
> Conversation autour du livre « Gainsbourg »
> Conversation autour du livre « Johnny »
QUOI DE NEUF,
EDUARDO PISANI ?
« Le 19 août 2023 est sorti mon premier recueil de poèmes Miettes et cetera aux éditions Unicité.
En ce moment, je suis candidat à l’Académie française au fauteuil de Marc Fumaroli (fauteuil 6)
L’élection à ce fauteuil aura lieu le 8 février 2024.
C’est ma 20ème candidature à l’Académie française.
Je vous rappelle que j’essaye de battre le record de candidatures d’Émile Zola qui a été candidat 25 fois à l’Académie française sans jamais être élu ».
> Conversation avec EDUARDO PISANI
QUOI DE NEUF,
JACQUES SICARD ?
« Le Grand sommeil : journal » (extraits).
« Je perds la notion du temps calendaire. Je m’étonne d’être rendu à dimanche, comme le montre mon agenda, alors que plus aucun signe de mon quotidien ne l’atteste. La télévision, est répugnante. Le job des voix qui m’en parviennent est de donner l’impression de toujours sourire, les syllabes se dilatent dans l’oreille obscènement. La journée est un impatient décompte des secondes qui me conduiront à la chambre, au lit, sur le dos, les yeux fermés, les mains jointes sur la poitrine, mon cerveau articulant la phrase propice au sommeil, somnifère aidant. J’ai fait en sorte que la fadeur du monde se conjugue à mes symptômes pour atteindre le plein repos. Parfois dix heures d’affilée. Outre les somnolences qui accompagnent la lecture. Le soir, devant le film, le poids et la chaleur de Geisha sur les cuisses. N’ayant plus de libido, le défilement de l’histoire filmée me captive moins que les photogrammes isolés, ils suscitent une excitation froide, un désir sans esprit de suite, narcotique. La bandaison est toujours le fruit d’une histoire qu’on se raconte, je n’ai plus que le fragmentaire des souvenirs sans lien. Toute matinée sans programme pour la journée m’est une aubaine. Je me retrouve dans une des situations préférées de mon enfance où ma mère ne se séparait jamais d’un grand cabas, qu’elle emplissait de marchandises volées dans les magasins ; je l’accompagnais avec jubilation, sûr de terminer la course avec un jouet. Les repas sont une partie essentielle du découpage technique de mon quotidien : deux grosses noix de beurre, deux cent grammes de gnocchis au fromage, saupoudré généreusement de cheddar râpé, par quoi je consens à la démocratie boutiquière. La démocratie est la liberté de fuir. Je n’ai pas de dehors, et tout ce qui prétend le contraire, je le fuis. Ainsi s’écoule l’après-midi. La plupart de ce qui s’écrit ou se filme m’est devenu incompréhensible, seul le réalisme imité de la représentation me distrait un instant, c’est comme plonger dans une anesthésie générale. Engourdi, je vais au jardin, les mains dans les poches. L’automne du Midi, indépendamment des méditerranéens, est d’une grande douceur ; je me vois étendu sous le platane-mûrier, je dépasse mon corps qui à l’ombre se ménage, et je rejoins le bureau. Sept heures, le soleil est bas, il fait presque nuit. Je vais voir, sur mon téléviseur, « This Is The end – La Fin de Tout » de Vincent Dieutre. Le film présente un des motifs de mon existence : la répétition. Plus réservé qu’à son habitude, Dieutre aborde les étreintes amoureuses par le biais formel du « gif », technique numérique qui combine image fixe et vidéo pour traduire une animation qui semble toujours se repentir : s’amorce, revient sur elle-même, avant de recommencer, à perpétuité. Le « gif » est un faux mouvement, qu’on peut interpréter comme un acte manqué. Dieutre, le travaille ainsi. Alors que le standard du « gif » est d’être très court, de l’ordre d’une seconde, là est son immédiate séduction, le cinéaste prolonge un peu sa durée, suffisamment pour que la répétition soit ressentie comme une stupéfaction. La langueur y semble être le premier et le dernier mot. Il y a longtemps, dans la salle capitulaire de l’abbaye du Thoronet, ma sidération à la vue d’un visage gravé, je rapporte ce qu’alors j’en ai écrit et que j’ai dédié à Catherine : « Un jour, promenant, je me suis arrêté devant une figure d’apparence humaine, sobre et douce, gravée dans la pierre. Un ouvrier avait marqué la matière de la singularité spirituelle de l’homme, de sa particularité technicienne, aussi. La pierre figurée était devenue un pilier de soutènement d’une voûte, et la voûte, la toiture d’un monastère. De cet instant, j’ai su que je passerais là, imaginairement, le reste de ma vie, il y a trente années de ça. Je n’ai jamais cru en rien, j’ai simplement ne pas voulu m’éloigner de ce bas-relief qui me fascinait. Sa gravure semble avoir été dépêchée, elle est indéfinie, inachevée, comme si le graveur était pressé dans son travail par un souci ou distraitement agacé par une force extérieure, qui n’était sans doute que le vent poussiéreux ou la pluie ou le soleil ou une bête qui se frotte le poil, urine sur la pierre parfumée ».
JACQUES SICARD
> Du cinéma comme opiacé : conversation avec l’écrivain, poète et critique Jacques Sicard